Gérard Bayo, Et si mal regardée
Urgence (III)
En arc
de cercle au-dessus de nos tètes, le coucou
sous le ciel bleu.
Derrière la crête
le village
désert, éparpillé jusqu'au ciel. De tous
les visages essuyant les larmes.
L'éternité n'est pas
de demain, est silence de la naissance
recommencée.
(Marișel, Roumanie)
Force est de sourire face à l'heureuse coïncidence qui a fait paraître le dernier recueil de Gérard Bayo aux éditions L'herbe qui tremble car c'est précisément dans le tremblant interstice entre deux brins d'herbe que l'écriture du poète semble prendre chair – dans ce minuscule intervalle entre deux brins d'herbe, mais aussi dans le vide vertigineux qui sépare la vie et la mort, la présence et l'absence, la lumière et l'obscurité, le bruissement de la parole et le poids du silence.
“La mort s'autodétruit pour naître encore” (p. 25) écrit le poète, et ce que questionne le recueil est le mode opératoire de cette renaissance : la mort étant actée, où trouver la vie ? “La permission/de vivre, nous l'avons” (p. 29), il faut désormais en chercher le moyen. Et c'est au poète que revient la tâche de “réparer le monde” (p. 39) pour en faire un lieu vivable.
“Tu habiteras le silence” (p. 68) propose le poète, mais cet espace d'où le verbe est absent – et qui va jusqu'à s'incarner dans la matière du poème par la typographie lacunaire (p. 79) – n'est en réalité pas si vide que cela. Curieusement, “on dirait que les mots/du poème sont depuis toujours écrits” (p. 92) : même le silence se dit par le verbe. La poésie est par essence verbe.
Gérard Bayo, Et si mal regardée,
L'herbe Qui Tremble, 2018, 156
pages, 14€.
Chez Gérard Bayo, ce verbe est habité de deux manières : par le Verbe lui-même (c'est-à-dire par le principe religieux de la parole divine) et, surtout, par le lexique inconscient qui est à l'oeuvre chez chacun d'entre nous, c'est-à-dire par ce “dictionnaire/oublié par coeur” (p. 33), dictionnaire à la fois de noms communs (la langue de Bayo est assez simple et délimitée dans son étendue lexicale) et de noms propres, comme en témoigne à la fin du recueil la liste des lieux et personnes qui parcourent les poèmes et sur lesquels le poète s'appuie pour (re)construire le monde.
Au lecteur de juger si ce monde tient debout.