Que la poésie ait quelque chose à voir avec le mystère, l’invisible, l’ineffable, cela ne fait aucun doute. Le poète Jean-Pierre Lemaire l’a bien exposé dans son livre Marcher dans la neige (éditions Bayard). Mais un autre poète chrétien, Jean-Pierre Bocholier, va encore plus loin dans un petit livre de méditations et d’aphorismes. « Tout écriture poétique, affirme-t-il d’emblée, n’est-elle pas exercice spirituel dans la mesure où le travail de la langue est aussi travail sur soi-même, dans le sens aussi où, plus ou moins confusément, le poète sait qu’il doit s’effacer devant quelque chose – ou quelqu’un – de plus grand et de plus fort que lui ? ».
Ce « quelqu’un », pour Gérard Bocholier, c’est Dieu lui-même, qu’il ne désigne pas comme tel mais qu’il appelle, dans son livre, la « Présence » ou la « Source », rejoignant ainsi les propres intuitions ou convictions du poète et philosophe suisse Georges Haldas dans ses carnets sur l’Etat de poésie. Bocholier parle ainsi du « retour à la source qui palpite au fond de nous » mais, dépassant les propos de Georges Haldas, pousse sa démonstration jusqu’à parler de poète « visité », de poète « porte-parole », appelé à « restituer » ce qui est « inscrit, déjà, au plus intime ». Car, au bout du compte, affirme Bocholier, « la poésie doit donner faim (…) aiguiser l’appétit spirituel ». C’est même, selon lui, l’antichambre de la prière.
Il faut, pour cela, « l’attention la plus aiguë » et savoir se mettre en quête de signes. « Il faut si peu de choses, affirme l’auteur, pour qu’il y ait un signe : éclair de soleil, échappée de vent, frisson d’herbe sur un tertre ». Ce n’est pas l’apanage des seuls poètes chrétiens. Gérard Bocholier en convient mais note que si certains auteurs « parviennent sur le seuil de l’invisible », ils en restent finalement à la porte. Ainsi nous parle-t-il de Philippe Jaccottet qui « perçoit des messages de lumière mais s’avoue incapable de reconnaître leur signature ». Même constat pour Pierre-Albert Jourdan qui « n’a pas su recueillir de message, tout juste quelques appels à un progrès intérieur ».
Les références pour Bocholier s’appellent Jean de La Croix, Maître Eckhart, sœur Catherine-Marie de la Trinité, Hadewijch d’Anvers ou Angelus Silesius (« Dieu est un organiste et nous sommes l’orgue »). En clair, une certaine veine mystique, mais qui ne s’affranchit pas du réel. Bien au contraire. Gérard Bocholier insiste : « Tout le réel intéresse le poète, sans exclusive, la merveille en tous ses éclats ». Et d’ajouter : « Il ne s’agit aucunement d’oublier le réel, mais au contraire de le vivre, de le sentir d’une manière suraiguë ». Un réel que le poète doit dire et « non le décrire le mimer ou le recenser, de façon à faire apparaître la part d’invisible qui est en lui ».
Restent les limites du langage poétique lui-même « malgré les efforts du poète qui polit, affine, aiguise, lave à grande eau la matière du langage ». C’est dans la conscience de ces limites-là que le poète mesure aussi, pleinement, le poids de cette « présence » qui le dépasse.
Notre ami et collaborateur Gérard Bocholier vient aussi de faire paraître deux ouvrages : L’Ordre du silence / La marche de l’aube