Gérard Bocholier, ses deux derniers recueils
C'est un fait peu commun dans le monde de l'édition. Plus rare encore dans le monde de l'édition poétique. Un poète, le même mois, publie deux livres de poésie chez deux éditeurs différents. Gérard Bocholier vient de publier en octobre 2012 Psaumes de l'espérance aux éditions Ad Solem, et Belles saisons obscures aux éditions Arfuyen. Nous pourrions considérer cette synchronie comme faisant signe, et chercher dans le secret mouvement de ce surgissement simultané les raisons cachées, le dialogue invisible. Nous laisserons ce tour de force aux lecteurs soucieux de lire dans les évènements séculiers leur profondeur réelle.
Avec Psaumes de l'espérance, Bocholier nous offre le deuxième volume d'une trilogie théologale. Après Psaumes du bel amour, et avant de chanter la charité, le poète psalmodie l'espérance. Et ce n'est pas rien, de psalmodier l'espérance aujourd'hui. On se souvient des mots célèbres d'un pape "N'ayez pas peur, entrez dans l'Espérance", repris en cœur par les ambitieux politiques se croyant le charisme d'un homme de foi. Et passées les échéances, l'Espérance, cette notion d'un âge enchainé à l'amour divin, regagnait la place que lui réserve le nihilisme de l'époque, celui des masques et des avatars.
Ce n'est donc pas rien de murmurer cette vertu théologale au sein du Simulacre nous demandant d'abandonner ici toute Espérance. Humblement, l'air de rien, Bocholier le poète n'obéit pas aux injonctions de la classe spectaculaire et chuchote dans ces psaumes l'accueil de la Présence.
Chaque psaume est écrit en heptasyllabe, contient deux strophes de quatre vers, établissant ainsi un huit vertical, c'est à dire une élévation infinie. La première strophe appartient au siècle, c'est-à- dire au monde d'aujourd'hui, humain, charnel. La deuxième strophe entre dans le lieu du temple par un tour de force subtil et invisible. Comme le dit Philippe Jaccottet dans l'envoi de ce beau livre "Jean-Pierre Lemaire a bien raison de louer vos poèmes : ils sonnent juste d'un bout à l'autre, ils disent des choses délicates sans mièvrerie, des choses graves sans peser jamais. Ils accompagnent le lecteur avec une ombre amie, discrète ; et voilà que cette ombre est quelque chose comme Dieu ; ce qui émeut même le douteur !"
Qu'ajouter de plus à ces mots parfaitement ciselés pour présenter Psaumes de l'espérance ? Rien, si ce n'est de faire partager l'un de ces psaumes :
J'ai joint les mains pour garder
La toute petite flamme
Que confondent les orages
Avec la frêle espérance
Mais je sais bien que c'est Toi
Qui places cette semence
En moi de l'éternité
Qui va bientôt tout brûler
En écho, comme par un prodige dont peu sont capables, le psalmiste sait dédoubler sa voix pour faire entendre un autre chant, tout aussi intérieur, mais s'affrontant à une abstraction paysagère qu'il nomme Belles saisons obscures. Ces poèmes, parus chez Arfuyen, obéissent également au vers réguliers, mais ils alternent la métrique. Ici, tout commence par un jeu de reflets : une ombre éclaire notre chemin de vivant. Le champ lexical tourne autour des tombes, de l'obscur, de l'abîme, et ces creux renferment l'usage de la lumière, celle qui sait éclairer par un en-dedans qu'on prendrait pour un au-dessus, le champ de notre vie. Nous sommes dans l'or des ténèbres, dans l'ostensoir de la mort. Ces belles saisons obscures, toutes intérieures et énigmatiques, trament des perceptions auxquelles le poème donne ordre.
De longs trains de nuées grises
Courent sur le ciel le vert
Foncé des arbres les verts
Tendres des prés et des tertres
Les suivent notre train file
A moins que ce ne soit l'ombre
Pressée de rentrer Les vitres
Se troublent de nos reflets
De plus en plus invisibles
A moins que déjà l'abîme
De toutes les nuits n'aspire
Les champs désertés des villes
La terre entière en exil
Et ce trajet pour nous perdre
On entend La Tour du Pin dans le lointain de ces saisons. On y entend la même quête, la même joie tapie dans les repaires souterrains de nos êtres, épiant nos faits et nos gestes par son regard qui est un bain de lumière diffuse soutenant notre marche d'aveugle dans la nuit inintelligible.