L’eau verse de la cruche de grès bleu, maniée par une main déliée qui accomplit ce geste si simple, si dénué de toute garde, qu’il en devient solennel, comme soudain empreint d’une sagesse issue du fond des âges.
L’eau coule de l’hydrie de terre, délivre ses saveurs secrètes. Elle entonne le chant de la rivière et de la pluie, du ciel et des vagues, du vent et des nuages. Elle proclame le triomphe de leur féconde réciprocité et, par le don de sa fraîcheur suave, révèle aux hommes un peu de son savoir sourcier.
Extrait de : L’inventaire des étoiles
Ils dansent
Ils dansent
Et leur fait mal l’ombre de l’étreinte
Tant ils se tiennent si fort enlacés
Ils dansent
Et souffrent du reflet de leurs mains crispées
Dans les miroirs de la mer
Ils dansent
Et se grisent de l’éclat de leurs bouches en sang
Dans leurs yeux
Ils dansent
Et tremblent tant s’effraient de la déchirure
Qui va séparer leurs corps
Ils éprouvent
Soudain le vide du ciel
Dans une pâleur de vertige
Ils s’envolent
Vers un horizon de fenêtres
Multipliées à l’infini
Fenêtres closes comme des reposoirs
Ouvertes comme des veines
Brisées comme le cœur des hommes
Extrait de : L’inventaire des étoiles
Childhood farewell
(en hommage à Joë Bousquet)
Noël sans mémoire
Où l’enfance s’est tue
Aux promesses du soir
Les fruits défendus
Dans nos yeux ouverts
S’exile la noirceur
A travers l’hiver
Où nous fûmes passeurs
Fûmes témoins des ombres
Et des anges sans âge
D’un ciel en décombres
Oublié des sages
Et la houppelande
Enfuie dans la nuit
S’effrange dans la lande
Aux ronces de l’ennui
Pleurez donc sans moi
Qui n’en vaut la peine
Je suis autrefois
Au deuil des marraines
La noire visiteuse
Hante l’aube des toujours
Nos âmes voyageuses
S’égarent par amour
Se perdent les enfants
Dans l’oubli des rêves
Sur les routes des grands
A peiner sans trêve
Leur cœur est trop vaste
Pour réduire le ciel
Les pleurs les dévastent
Pour une faute vénielle
Quand le froid enlace
Leur maigre bout de vie
Quand leurs yeux se lassent
De la moindre envie
Quand tombent les grands lys
D’un ciel de frimas
Tissant la haute lisse
D’un monde en coma
Pourquoi ces soupirs
Ces pleurs de pauvres fous
Tous nos souvenirs
Ne sont que cailloux
Extrait de : Les chercheurs d’or
Le revenant
(en hommage à Xavier Grall)
Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas
Pèlerin ou revenant
naufragé peut-être
tu ne vaux guère
voyageur sans autre bagage
que ton cœur lourd
Un linceul de bitume
voile les sentes
tout au long desquelles naguère
des crosses de rouille et d’or
bénissaient ta marche
Le béton sur la dune
avorte l’étreinte de l’écume
Qui sait encore
là où finit la terre
commence l’éternité de la mer
Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas
Tu ne reconnais plus
l’oratoire de la forêt
rongé de lichens et de ronciers
que délitent toutes les pluies
et l’oubli des hommes
Face à l’ostensoir du soleil
s’est tue la grive musicienne
Quel porche passer qui point ne se dérobe
quels vents désormais porteront les cantiques et les sônes
en ce pays si vieux qu’il oublie de mourir
Les grands ducs désertent les fêtes de nuit
et plus personne ne pardonne
Sur les dalles des sanctuaires
ne résonne plus le sabot
et leur nef naufrage au seuil de l’hiver
Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas
Les si patientes tombes
s’abreuvent d’azur et d’averses
Le chant des ancêtres
s’épuise au contre-chant
de son écho
Poursuis ta route vers l’ultime présence
guidé par les étoiles
ignore la tourbe et les sables mouvants
de l’indignité
Et de tes yeux tombera la taie
Avec la boussole des eaux
tu trouveras la croix des chemins
et parmi le chardon et l’ortie
sous la vague des broussailles
découvriras l’ossuaire fécond du renouveau
Te voici de retour
et n’en crois pas tes yeux
Le gravier
dans ton soulier
ne retient ton pas
Extrait de : Les chercheurs d’or
Samain
(en hommage à Angèle Vannier)
Samain (*)
chaque année
à la prime brume
tu enténèbres la forêt
par l’appel de nos morts
Les vitraux des feuillées laissent passer si peu de lumière
à laisser croire en la divine vision
Je n’espère plus de Beltane la venue
Samain
tu m’as imposé la nuit en un partage
que je récuse
Les soleils m’ont fuit
mais les étoiles criblent mon corps et mon cœur
Seule la harpe issue des sources de la pluie
berce ma longue nuit sans sommeil
mon sang exilé
Les miroirs sans tain prolongent les couloirs vides
de mon château
recèlent des escaliers sans autre issue
qu’une autre noirceur
Les horloges tournent sans moi
qui ne suis plus en retard
pour les secrets du monde
J’entends les portes battre
le cœur de la nuit
et dans l’odeur d’un grenier
délaissé
monte l’écume de l’enfance
C’était à l’heure des pommes rouges
si visibles dans la peine
Les hommes s’inclinaient devant nous
fugueuses des étangs
qui passions en robes sang
éperdues
vers les portes ouvertes sur le vent
Mon adieu ne se négocie pas
pas plus que mon pardon
Je m’en remets aux chardons comme aux algues
Tu m’as crevé les yeux
à l’orée de ma vie
Samain
sans pourtant endeuiller mon âme
Je m’en remets aux oiseaux comme aux loups
Samain
chaque année
à la prime brume
tu enténèbres la forêt
par l’appel de nos morts
Extrait de : Les chercheurs d’or
Note
(*) Dans la mythologie celte, les saisons ne correspondent pas à celles de notre calendrier. Ainsi, le gué jeté entre les beaux jours et la froidure n’appartient ni à la période qui s’achève, ni à celle qui commence : il marque le passage de la saison claire à la saison sombre. Dans cette temporalité annuelle, la transition ne s’inscrit dans aucune durée. Cependant, on consacre toute une semaine à célébrer la divinité nommée : Samain. Cette fête est vouée à la conjuration de l’ombre, à l’exorcisme du mauvais sort. Ses jours coïncident avec ceux dévolus au souvenir des morts dans notre tradition chrétienne. Bien entendu, ils évoquent aussi l’avènement de l’hiver et la venue des nuits les plus longues. A l’opposé, le culte de Beltane célèbre l’arrivée du printemps, le retour à la lumière, le triomphe de la vie.