L’ouvrage s’ouvre sur un avant-pro­pos où les lim­ites du lan­gage sont mis­es en évi­dence. Dès lors, le titre du livre n’est pas éton­nant : « Ce que dit le Cen­tau­re ».

Le Cen­tau­re est un être mythologique, mi-homme, mi-cheval, le fils d’Ixion (prince Lapite) et de Néphélé (un nuage auquel Zeus don­na l’apparence de sa femme). C’est dire les lim­ites du lan­gage dans ces légen­des (« car rien // n’a de nom / que par moi », p 20). Le vers est bref (d’un mot à qua­tre, le plus sou­vent) dis­posé en ter­cets. Restent les mots, la matière des mots qui font le poème. Reste cette façon d’écrire le poème, ahuris­sante, qui remet en cause le vers habituel, même si les répéti­tions sont sig­nifi­antes. N’y a‑t-il pas une con­tra­dic­tion entre la prose de cette lec­ture et ce poème parci­monieux, économe de ses moyens ?

Mais il y a cette affirmation :

je nomme
et je suis 

je par­le
et toutes 
choses 

sont
il suffirait 
que je me taise »
(pp. 56–57)

 

Ce que dit le Centaure, Gérard Pfister, éd. Arfuyen, 2017, 16€

Gérard Pfis­ter, Ce que dit le Cen­tau­re, Édi­tions Arfuyen, 200 pages, 16 euros. En librairie.

Le poème serait-il « chant / sans paroles », ou « sans har­monies ». Ou encore « page blanche ». Le sens n’est pas don­né ; Gérard Pfis­ter, à son corps défen­dant, rap­pelle que la poésie est mul­ti­ple : con­crète, visuelle, spa­tiale, sonore, réflex­ive, que sais-je encore ? : « rien // ne résiste / à l’assaut / du cen­tau­re » (p 79) : à voir. Pfis­ter lutte con­tre la tyran­nie de la com­mu­ni­ca­tion qui aliène les hommes… 

Pfis­ter se situe dans la mou­vance du dadaïsme. C’est dire que ce dernier est un point de repère pour la lec­ture de ses livres. Ce que dit le Cen­tau­re se car­ac­térise par la mise en crise des con­ven­tions poé­tiques : ce n’est pas un hasard si l’écriture de ce recueil se man­i­feste par des ter­cets de vers très brefs, même si cette écri­t­ure sem­ble clas­sique. Gérard Pfis­ter reprend à son compte le mot écrit par Hugo Ball et Richard Huelsenbeck :

Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès

Ce qui explique bien des aspects de ce livre : la référence au Cen­tau­re, les per­son­nages prin­ci­paux du poème (comme le Songe, le Temps, le Chant)… À ajouter à son pro­fil, ce goût pour la sup­pres­sion de toute référence à la beauté poé­tique ! Cepen­dant, Pfis­ter ne se con­tente pas recopi­er les vieilles recettes de Dada, il innove en mas­sacrant l’illusion du langage.

Je n’aurai rien dit des crimes qui parsè­ment ces pages, de la som­bre beauté qui se dégage de maints pas­sages (à mes yeux), ni du mélange des gen­res (s’agissant de ce que dit le Cen­tau­re, un oiseau « s’accroche / à l’affût de canon », p 137), ni encore de la géométrie qui débouche sur des per­spec­tives inouïes… J’espère avoir pro­posé au lecteur quelques hypothès­es que je n’aurais fait qu’effleurer : il faut lire « Ce que dit le Cen­tau­re » : pour para­phras­er Gérard Pfis­ter, je dirai que chaque mot est une flèche qui n’épargne pas la parole poé­tique (p 161) …

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs.