Gérard Pfister, Ce que dit le Centaure
L’ouvrage s’ouvre sur un avant-propos où les limites du langage sont mises en évidence. Dès lors, le titre du livre n’est pas étonnant : « Ce que dit le Centaure ».
Le Centaure est un être mythologique, mi-homme, mi-cheval, le fils d’Ixion (prince Lapite) et de Néphélé (un nuage auquel Zeus donna l’apparence de sa femme). C’est dire les limites du langage dans ces légendes (« car rien // n’a de nom / que par moi », p 20). Le vers est bref (d’un mot à quatre, le plus souvent) disposé en tercets. Restent les mots, la matière des mots qui font le poème. Reste cette façon d’écrire le poème, ahurissante, qui remet en cause le vers habituel, même si les répétitions sont signifiantes. N’y a-t-il pas une contradiction entre la prose de cette lecture et ce poème parcimonieux, économe de ses moyens ?
Mais il y a cette affirmation :
je nomme
et je suisje parle
et toutes
chosessont
il suffirait
que je me taise » (pp. 56-57)
Le poème serait-il « chant / sans paroles », ou « sans harmonies ». Ou encore « page blanche ». Le sens n’est pas donné ; Gérard Pfister, à son corps défendant, rappelle que la poésie est multiple : concrète, visuelle, spatiale, sonore, réflexive, que sais-je encore ? : « rien // ne résiste / à l’assaut / du centaure » (p 79) : à voir. Pfister lutte contre la tyrannie de la communication qui aliène les hommes…
Pfister se situe dans la mouvance du dadaïsme. C’est dire que ce dernier est un point de repère pour la lecture de ses livres. Ce que dit le Centaure se caractérise par la mise en crise des conventions poétiques : ce n’est pas un hasard si l’écriture de ce recueil se manifeste par des tercets de vers très brefs, même si cette écriture semble classique. Gérard Pfister reprend à son compte le mot écrit par Hugo Ball et Richard Huelsenbeck :
Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès
Ce qui explique bien des aspects de ce livre : la référence au Centaure, les personnages principaux du poème (comme le Songe, le Temps, le Chant)… À ajouter à son profil, ce goût pour la suppression de toute référence à la beauté poétique ! Cependant, Pfister ne se contente pas recopier les vieilles recettes de Dada, il innove en massacrant l’illusion du langage.
Je n’aurai rien dit des crimes qui parsèment ces pages, de la sombre beauté qui se dégage de maints passages (à mes yeux), ni du mélange des genres (s’agissant de ce que dit le Centaure, un oiseau « s’accroche / à l’affût de canon », p 137), ni encore de la géométrie qui débouche sur des perspectives inouïes… J’espère avoir proposé au lecteur quelques hypothèses que je n’aurais fait qu’effleurer : il faut lire « Ce que dit le Centaure » : pour paraphraser Gérard Pfister, je dirai que chaque mot est une flèche qui n’épargne pas la parole poétique (p 161) …