traduction : Marilyne Bertoncini
Auteur reconnu, mais poète discret, et chaleureux, Giancarlo Baroni nous a confié cet autoportrait qui nous semble la meilleure introduction à la découverte de son oeuvre, toute de légèreté, d’humour et de sagesse, à travers ces quelques poèmes tirés de l’ouvrage “I Merli del giardino di San Paolo e altri ucelli“1I Merli del giardino di San Paolo e altri uccelli, ed. Grafiche Step, 2016, 80p., 10€ — livre en cours de traduction.
.
Une béatitude incertaine 2autoportrait de Giancarlo Baroni publié sur “Socio del mese dell’Associazione CulturaleCooperativa Letteraria che cura il progetto della rivista Fuori Asse”
Mon premier livre en 1990, à 37 ans, était un recueil extravagant de poésie contenant quelques vers impertinents, dont le titre étrange était ; Enciclopatia. L’introduction du livre consistait en cette sorte de devinette : “Un poésie dans le tiroir est un morceau du tiroir. Que sera une poésie sortie du tiroir?” Après tant d’années, je ne le sais toujours pas, et même, mes idées sont aujourd’hui plus confuses qu’alors. Et puis, en vieillissant, il vaut mieux ne pas trop s’interroger ou se tourmenter, au risque de finir comme ce mille-pattes qui, après s’être longuement demandé comment se mouvaient simultanément tous ses petits membres, ne réussit plus à marcher.
©photo by studio infraordinario
Il y a eu une période, aux alentours de la cinquantaine, où je me suis posé quelques questions, et donné quelques réponses à propos de ma passion pour l’écriture et la poésie. Parce qu’il s’agit bien de passion intense et réelle. Comme le sait chaque écrivain, pour l’avoir éprouvé lui-même, la passion pour l’écriture a le double visage de Janus, d’un côté, joie, plaisir, enthousiasme — de l’autre, fatigue, amertume et stress ; d’un côté, la poésie te donne, de l’autre, elle te prend. Mais globalement, les satisfactions sont nettement supérieures aux désillusions. J’ai intitulé un petit volume de réflexions littéraire Une Incertaine béatitude. C’est tout à fait mon état d’âme quand j’écris : une béatitude incertaine, parfois instable et précaire, mais toujours une béatitude.
Une phrase de Thomas Mann qui me frappe par sa précision synthétique se réfère à la création artistique : “connaître en profondeur et représenter en beauté.” Que peut-on ajouter? Connaissance et beauté, union idéale et dans le même temps presqu’irréalisable. En littérature, je suis aussi très attiré par la légèreté, c’est elle qui m’a poussé à écrire tant de vers sur les oiseaux, sur ces créatures ailées messagères entre ciel et terre : poésies désormais dans le recueil récemment réimprimé, complété et illlustré, des “Merles dans le jardin de san Paolo et autres oiseaux”. En observant les oiseaux, à la longue on capture la gamme de couleurs de leurs plumages, la variété des chants et des comportements. Parfois, ils sautillent sur un pré avec une telle légèreté qu’ils effleurent le sol, parfois ils se cachent dans l’épaisseur du feuillage, t’observent du haut d’une branche, et soudain s’envolent plus loin, et qui sait où. Grâce à eux, j’ai appris à multiplier les points de vue, les perspectives, les angles, les regards.
J’avoue que j’ai tendance à oublier facilement : à souvenir qui entre, un autre abandonne l’archive de ma mémoire — une archive-magasin archi-pleine et d’une piètre capacité. Les livres que j’écris, les photos que je prends, m’aident à me souvenir. Les livres retiennent et fixent sur la page des pensées, des sentiments et des réflexions, les photos (et photographier est moins une passion qu’un passe-temps) conservent des images, surtout de lieux, qui autrement s’effaceraient.
Dans mes vers, je n’aime pas parler de moi ouvertement. Ma vie n’est guère intéressante, ma mémoire assez lacunaire. Je préfère parler d’autres personnes et personnages, établir avec eux un contact, une relation, un échange, raconter des histoires et des événements qui les concernent, me confondre avec eux, me mettre à leur place, regarder le monde à travers leurs yeux et les faire s’exprimer directement. Ils peuvent être voyageurs et explorateurs (l’un de mes recueils s’intitule Les Âmes de Marco Polo), héros mythiques (Ulysse en premier), des scientifiques (surtout Darwin), une série de peintres (de Masaccio à Basquiat), des individus quelconques, comme la protagoniste de ces vers, aux prises avec le rite quotidien du café :
Elle se met à la fenêtre
sirote son café béate
comme si se trouvait devant elle
non l’avenue aux mille autos
mais un golfe aux mille voiles.
©Giancarlo Baroni
Il Peso dei vostri corpi
È cosi popolato questo giardino
di voi passeri che becchettate.
Saltellate di frequente, qualche volta vi rincorrete
sopra uno strato di foglie secche,
mentre il rumore che vi costringe a fermarvi
fissando davanti a voi
è quello dei passi, e del peso dei vostri corpi
quando sfiorata la terra neanche vi appoggiate.
Le Poids de vos corps
Il est si peuplé par vous ce jardin
vous passereaux qui becquetez.
Vous sautillez souvent, parfois vous poursuivant
sur une couche de feuilles sèche,
tandis que le bruit qui vous fait vous arrêter
les yeux fixés devant vous
est celui des pas, et du poids de vos corps,
quand vous frôlez la terre sans même vous poser.
*
Voci
Qualche volta vi nascondete dietro le nuvole
facendo finta di essere scomparsi.
Allora noi cerchiamo dappertutto
vi preghiamo di tornare
inventiamo mille promesse.
Là in alto intanto voi ve la ridete
di noi che gridiamo
che fingiamo di invocarvi comme ossessi.
*
ce ne infischiamo della nebbia
che foriamo col becco
oppure graffiamo con le unghie
così da volare dall’altra parte.
Attraverso la nebbia inviate
comunque fino qui le vostre voci
di cui a fatica comprendiamo
la vera provenienza.
*
Voix
Parfois vous vous cachez derrière les nuages
Feignant d’avoir disparu.
Alors nous vous cherchons partout
vous priant de revenir
nous inventons mille promesses.
Là-haut pendant ce temps vous vous moquez
de nous qui crions
qui feignons de vous invoquer comme des obsédés.
*
On s’en moque du brouillard
que nous forons de notre bec
ou que nous égratignons des ongles
pour voler de l’autre côté.
A travers le brouillard vous envoyez
de toute manière jusqu’ici vos voix
dont avec difficulté nous comprenons
la véritable provenance.
*
©Giancarlo Baroni
Sguardi
Vi porgete dal cornicione
e come un tuffatore
vi preparate al salto.
Dietro le finestre
riaprono gli occhi dopo quella caduta
i più giovanni fra i nostri spettatori.
*
Guardate distratamente altri colombi
fissare di fronte a se dai cornicioni.
Ma i nostri sguardi si scontrano più lontano
e rimbalzano sulle tegole come proiettili.
*
Regards
Perchés sur la corniche
comme un plongeur
vous vous préparez à sauter.
Derrière les fenêtres
ils rouvrent leurs yeux après cette chute
les plus jeunes de nos spectateurs.
Vous regardez distraitement d’autres colombes
les yeux fixés devant elles sur les corniches.
Mais nos regards se heurtent plus loin
et rebondissent sur les tuiles comme des projectiles.
*
Una Geografia celeste3Una Geografie Celeste richiama e commenta le immagini fotografiche dell’amico Giovanni Greci
Il reticolo celeste definisce
una geografia inconsueta.
All’apparenza rette lanciate a perdita,
parallele ideali, spigoli levigati
e volumi quadrati e rarefatti. Ma dietro
una caterva di curve e deviazioni,
non un labirinto
ma una geometria di scarti
di gallerie sbocciate su radure
di crocevia e di fughe.
La morte qui non saprà scovarti.
*
Vuoi andare
inseguire le trasparenze delle nuvole
gli inviti rovesciati all’orizzonte
e i segnali in fuga sulle strade.
Scappando verso il cielo
la spirale servira
a disegnare il viaggio
infinita. Con te
aeroplano della tua vita.
*
.
©Giancarlo Baroni
.
.
.
In questo spazio senza un centro
né dei percorsi certi
il vuoto ti attraversa.
È una terra di crepe
con delle rocce incise dal disordine
e poca vegetazione
però il cielo
il cielo davvero come un aquilone.
*
Ai confini fra la terra e il cielo
galleggia il tuo sofà.
Quando lo sgomento per le cose ti cattura
o la vertigine faticosa di un addio,
volteggi dentro l’aria raggiungendolo.
Allora proietti sul sofà
l’angolo allegro della tua memoria
ogni volta finalmente ringraziando
quanti hai amato.
E un mattino intorpidito e ruvido.
La nebbia si propaga come un suono fangoso
la eco contenuta delle foglie
i loro brividi. Dentro l’aria
gli odori della terra si sollevano
a macchie e spirali. Nello sfondo
comincia adesso il tempo a dilatarsi.
Une Géographie céleste4Une Géographie céleste évoque et commente les images photographiques de l’ami Giovanni Greci
La résille céleste définit
une insolite géographie.
En apparence des filets lancés à perte de vue,
parallèles idéaux, angles émoussés
et volumes carrés et raréfiés. Mais derrière
un fouillis de courbes et de déviations,
pas un labyrinthe
mais une géographie de déviations
de galeries ouvertes sur des clairières
de croisements et de fuites.
La mort ici ne pourra te découvrir.
*
Tu veux partir
suivre les transparences des nuages
les invites renversées à l’horizon
et les signaux en fuite sur les rues.
T’échappant vers le ciel
la spirale servira
À dessiner le voyage
infini. Avec toi
aéroplane de ta vie.
*
Dans cet espace sans un centre
ni des parcours assurés
le vide te traverse.
C’est une terre de fissures
aux roches incisées par le désordre
et une maigre végétation
pourtant le ciel
le ciel tout à fait comme un cerf-volant.
*
Aux confins de la terre et du ciel
flotte ton sofa.
Quand te saisit la terreur pour les choses
ou la fatigue vertigineuse d’un adieu,
tu volète dans l’air en le rejoignant.
Alors tu projettes sur le sofa
l’angle allègre de ta mémoire
remerciant haque fois finalement
ce que tu as aimé.
C’est un matin gourd et rude.
Le brouillard se propage comme un son fangeux.
L’écho contenu des feuilles
leur frisson. Dans l’air
les odeurs de la terre se soulèvent
sous forme de taches ou de spirales. Au fond
le temps maintenant commence à se dilater
©Giancarlo Baroni
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Notes