Giuliano Ladolfi, Le Journal de Didon / Jurnalul Didonei, traduction Sonia Elvireranu

Si tu cueilles la rose tu détruis son parfum ;
ne la touche pas (p. 30)

Après Le Regard… un lever de soleil et La Nuit obscure de Marie (1), voici une nouvelle collaboration multilingue entre Giuliano Ladolfi et Sonia Elvireanu. C’est ici Ladolfi qui a tenu en premier la plume et dans sa sa langue maternelle, l’italien. Il diario di Didone a en effet été écrit et publié (1993) d’abord en Italie, avant d’être récemment traduit en français par l’auteur, puis du français au roumain par Sonia Elvireanu. C’est le résultat de ce double travail qui est maintenant offert au lecteur.

Rappelons en quelques mots l’histoire de Didon (Hélissa en grec), fondatrice mythique de Carthage, ayant dû fuir la Phénycie après l’assassinat de son mari, Sychée (ou Sicheus), roi de Tyr. Sa légende se divise ensuite en deux versions. Selon la première, parce qu’elle vouait à son époux une fidélité absolue, elle s’est suicidée afin d’échapper à un remariage avec le roi des Lybiens, Hiarbias. Selon la seconde, celle de Virgile dans l’Énéide, elle a accueilli Énée à Carthage après la chute de Troie, ils se sont passionnément aimés jusqu’à ce que les dieux enjoignent à Énée de repartir ; alors Didon, désespérément amoureuse, mit fin à ses jours.

Giuliano Ladolfi combine en quelque sorte les deux versions. Quand Didon devient l’amante d’Énée, elle est hantée par la faute d’avoir rompu le nœud de fidélité avec son défunt mari (Si la volupté d’un baiser m’étouffe, / mon cœur est déchiré par l’écho de Sicheus – p. 28), et si elle se donne la mort après le départ d’Énée, c’est bien plus parce qu’elle ne supporte pas le poids de sa culpabilité que par désespoir amoureux. 

On ne saurait juger ici de la traduction roumaine mais nous savons déjà que Giuliano Ladolfi manie finement la langue française. Dans ce long poème, c’est Didon qui parle, se parlant à elle-même ou s’adressant à Énée. Le poète trouve des mots admirables pour peindre l’amour coupable. Je veux souffrir de toi, affirme Didon (p. 24) :

 Giuliano Ladolfi, Le Journal de Didon – Jurnalul Didonei, Iasi, Ars Longa, 2024, 108 p.,  traduction de l’italien au français par lui-même et traduction du français au roumain par Sonia Elvireranu.

Toutes les couleurs possède mon amour,

sauf le bleu du bonheur (p. 18)

Les caresses sont de la boue, mais pour moi
seule la boue freine la mort (p. 36)

Tu es entré en moi avec violence
pour semer la terreur et la honte (p. 68)

Cependant l’ouragan de l’amour (p. 40) n’apporte pas que de la peine, et sinon pourquoi en effet aimerait-on ?

Même un conflit aime une trêve
et tu es ma guerre et tu es ma paix (p. 32)

Homère vantait « la vie à la douceur de miel ». Chez Hugo, reprenant une analogie également très ancienne, « La vie est une fleur. L’amour en est le miel » (Le Roi s’amuse, 1832). Quant à Ladolfi, c’est le langage amoureux qu’il assimile au miel, à l’exemple entre autres de la Bible : « Des paroles aimables sont un rayon de miel » (Proverbes 16:24). 

Continue à m’étouffer avec le miel
de tes paroles pour que je puisse
distiller son nectar dans des désirs sereins (p. 38)

Au paroxysme de l’acte d’amour on peut se croire, parfois, l’égal des dieux :

Homme, tu me caressais avec le frisson
d’un Dieu (p. 62)

Mais l’amour est un leurre où chacun est sa propre victime :

Je me suis laissée emporter par des illusions
d’un nouveau printemps (p. 52)

Alors revient chez Didon un sentiment de culpabilité qu’elle ne pourra pas se pardonner et qui la conduit à se laisser mourir, sinon à se suicider :

Pour moi, il n’y a ni pardon ni prière,
l’obscurité répond au désespoir (p. 50)

Le poème se terminant ainsi :

Mon virage
horreur de la culpabilité, inexorable
étrangle tous mes désirs de vie (p. 96)

La légende de Didon a été maintes fois reprise par les poètes, les dramaturges, les musiciens, les peintres. Rien qu’en France, aux XVIIe et XVIIIe siècles on recense pas moins de six ouvrages littéraires qui lui sont consacrés, de Scudéry à Marmontel, sans compter les traductions de Virgile. Et Didon n’a pas totalement disparu de la fiction contemporaine. Le Journal signé par Giuliano Ladolfi s’inscrit ainsi à la suite d’une longue lignée de lettrés qui maintinrent vivante la « haute culture » à travers les siècles.

Présentation de l’auteur

Giuliano Ladolfi

Giuliano Ladolfi (1949), est un poète italien diplômé en littérature à l'Université catholique de Milan avec une thèse sur la pédagogie. Il a travaillé comme chef d'établissement. Il a publié quelques recueils de poésie et des essais et a fondé la revue de poésie, de critique et de littérature "Atelier", où il considère de manière particulière l'esthétique et la poésie du XXe siècle. Il est également éditeur, organisateur et orateur de nombreuses conférences littéraires.

Poèmes choisis

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