Temps d’arrêt
Quelquefois un papillon se pose
Sur un doigt en silence
Comme si c’était une fleur
Il n’y a plus besoin de parler alors
Ni d’écouter
Il n’y a plus besoin de respirer
Juste de sentir sur ses joues la légère brise qui effleure
Qui tient cet instant
En éveil
Et regarder patiemment les millions d’années
Qui se logent dans ces ailes
Si frêles
Si on a su disparaître suffisamment
Les ocelles vibreront
Comme des mains qui applaudissent
Pour dire
Merci
Puis
Comme des mains qui remuent
Pour dire
Adieu
Avant de s’en aller tranquillement
Remercier
Une autre fleur
Extrait de matin midi soir, Polder 189
Ed Gros Textes / Décharge
Ça fait longtemps
Ça fait longtemps que je n’allume plus mes nuits
pour mieux éteindre mes jours
Somnambule
tu passes d’un bar à l’autre
d’un verre à l’autre
d’une fille à l’autre
d’un rire à l’autre
jusqu’au moment où l’autre
c’est toi
Alors tu cherches au fond des cendriers
le reflet des souvenirs
mais n’y trouve
que des cendres de rires bruyants
La jeunesse est de mauvais conseil
ses épaules larges
elle a le temps
vénère les muses
sacrifie tout pour le geste pour
l’instant
La nuit a encore consumé
dans sa fumée abyssale
les peurs évaporées
puis la terreur au réveil
de ne pas voir de traces
Assis au bar
un inconnu par le col
me chope cherche
moucheron à écraser
après je ne sais rien
la vie est belle
un papillon dans le coin
sourit il offre
les clopes mais vend le feu
le bleu
mon identité interroge
mais je la cherche depuis
si loin
la vie est belle
un papillon dans le coin
sourit il offre
les clopes mais vend le feu
fait la chanson de mon enfance
Ça fait longtemps
que je ne mange plus
au kébab de ma rue
à 4 heure du mat’
et que je n’entends plus
les oiseaux à l’aube
m’indiquer
le chemin pour rentrer
dans le lit me coucher
les chaussures aux pieds
Ça fait longtemps que je n’invite plus
de parfaits inconnus
rencontrés
au hasard des rues
aux arrêts de bus
au marché aux puces
à la maison boire
un coup
et me faire les poches
quand j’ai le dos tourné
pour servir des verres
à la santé
de la fraternité
et à la mort éternelle
des fachos
aux crânes rasés
de près
Ça fait longtemps que mes mains sont blanches
comme mes yeux
ne sont plus rouges
de la fumée
de mes errances
Ça fait longtemps que je ne sème plus
dans n’importe quel troquet
squat
ou banc de la ville
des morceaux de sommeil
des briquets des portables des bonnets
des papiers le code
de ma CB l’anniversaire
de pépé
Que je ne parsème plus
le sol
de mes os mes poumons mes années
en riant
en riant jusqu’au ciel
en riant et en toussant
à m’en fendre le gosier
à en fendre des poiriers
entiers
Ça fait longtemps que je ne ris plus tout seul
Que je ne ris plus jusqu’au ciel
en toussant
à m’en fendre le gosier
à en fendre des poiriers entiers
tout seul
Ça fait longtemps que je n’oublie plus
mes rendez-vous chez le psy
Il dit que je progresse
qu’il y a de bons signes
que c’est une question de temps
Ça fait longtemps que le temps ne compte plus
ne me manque plus
Que les traces
laissées derrières
ne comptent plus
ne me regardent plus
Que tout ce qui importe
est de retrouver
au pied de la porte
tes chaussures mal rangées
aux côtés des miennes
Géométrie variable
On nous apprend d’abord
A définir un carré
Comme une forme géométrique
Différente du rectangle
Du cercle ou du triangle
De par ses côtés de même longueur
Et ses angles de 90 degrés
Puis on nous apprend
A définir le cube
Solide à six faces carrées égales
Utile pour mesurer les volumes
Puis on apprend
A multiplier les cubes
En centaines de milliers
De petits cubes
Pour pouvoir y ranger
Comme des boites à outils
Tout ce que la vie nous apprend d’autre
Puis on se rend compte
Que pour le rangement
Ikea est ce qui se fait de mieux
En matière de cubes
Et que le seul qui prévale vraiment
Pour la vie
Est le petit cube blanc
Avec des points noirs sur chacune de ses faces.
Alors
On sort de nos cases
Et le cercle s’élargit.
L’arbre à linge
Elle étendait son linge
Sur l’arbre à linge
Les chaussettes à côté des chaussettes
Les culottes à côté des culottes
Les tee-shirt à côté des tee-shirt
Et ainsi de suite
Se répétaient sans passion ni musique
De façon ordonnée et logique
Comme elle avait appris petite
Les mouvements robotiques
Presque inconscients
Répétés depuis des années.
Soudain
Elle remarqua que la chaussette
Qu’elle plaçait à côté de sa chaussette
N’était pas la sienne.
Elle prit du recul
Et s’aperçut que l’arbre entier
Etait un mélange de ses habits
Et des siens,
Celui avec qui elle partageait
La machine à laver.
Elle l’entendit ranger la vaisselle.
Un bonheur immense la traversa
D’un coup
De part en part
Une ombre imperceptible
Et évidente
L’ombre de toute ces années
Passées à ses côtés
Où elle ne se rendait même plus compte
Qu’elle étendait son linge à côté
Du linge de celui avec qui
Elle partageait sa machine à laver.
L’arbre à linge
Prit la forme
Du plus bel objet du monde
Et même le visage
Du meilleur ami
Fidèle et fort
Qui porte années après années
Sans broncher
Sur les mêmes épaules
Aussi fiables que propres
Côte à côte
Leurs secrets les plus intimes
Leurs secrets les plus secrets
Sans jamais les salir
Sans jamais les souiller.
Puis elle revint à sa chaussette
Qui n’avait pas son double.
Elle sourit
En pensant à sa rêverie.
Puis termina d’étendre le linge.
Et l’arbre ne perdit pas une feuille
Une fois encore.
Fleurissons les arbres morts
Je vois avec tristesse
Les arbres tous les ans
Pleurer leurs feuilles
Tombées à leurs pieds
Les temps de bonheur
Sont comptés
Et leurs traces
Emportées par les vents
Même si l’arbre est
Plus sage que moi
Et plus profond, beaucoup,
Par ses racines
Je ne peux m’empêcher de croire
Qu’à chaque automne sa sève
Est amère
De la chute de ses cheveux
J’en veux aux saisons alors
D’exister si brutalement.
Mais pas avec autant de douleur
Qu’à l’Homme
Et ses abatteuses
Qui démolissent les branches
Sur lesquelles fleurissent
Les arbres morts
Et pépient
Les nids vides.