Une chronique dont voici le premier numéro publié dans le sommaire n°68 de Recours au poème, en octobre 2013, et qui sera régulièrement sur nos pages jusqu’en juillet 2016.
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Qui connaît encore, aujourd’hui, Jakob van Hoddis ? Et pourtant, il fut, dans ce que nous appelons l’entre-deux guerres , l’un des principaux poètes allemands, qui influença aussi bien le mouvement dada que, tout naturellement, le surréalisme naissant qui allait prendre la suite de ce dernier.
Oh ! Je sais bien que van Hoddis fut classé comme schizophrène par les psychiatres de son époque, et que cela lui valut de disparaître dans les purges nazies, quand le parti au pouvoir dans son pays décida de l’élimination systématique des « aliénés mentaux. » Mais est-on vraiment « fou » lorsqu‘on est capable d’écrire que (je suis obligé de citer là dans la belle traduction qui nous est offerte) « La fiancée doucement gèle sous son léger ensemble./ L’ange se tait. Les courants d’air passent comme fiévreux./ Il tombe à genoux. Maintenant les deux tremblent/ du rayon de l’amour qui a surgi des cieux.// Rires des éclats de trompettes et du sombre tonnerre/. D’un léger voile l’aurore a été survolée./ Lorsque d’un tendre et faible/ mouvement elle lui donna sa bouche à baiser. » Oui, au regard de la société et de la pensée alors dominantes (mais est-ce vraiment si différent de nos jours ?), on est sans doute fou comme l’ont été un James Joyce, un Pablo Picasso, ou plus près de nous dans le temps, un Jackson Pollock en Amérique. Ou, si l’on en croit Winnicott, comme on a reproché à quelqu’un comme Carl Gustav Jung d’avoir été fou dans son enfance…
Encore que l’on puisse se poser la question de savoir s’il ne faudrait pas retrouver la distinction que faisaient les Anciens (je pense ici, particulièrement, à ce qu’avance Le Phèdre, ce si beau dialogue de Platon), cette différence, donc, entre la mauvaise et la bonne folie. Ou alors, que veulent dire des expressions comme les « fous de Dieu » (que ce soient les Bauls de l’Inde ou les Saloï du christianisme orthodoxe), ou cet « amour fou » qui plonge au plus profond du légendaire celtique… et trouve son apothéose dans l’ouvrage d’André Breton qui porte précisément ce titre ?
Au fond, je dois être honnête, je ne connais pas assez les pièces du dossier pour porter un jugement. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si van Hoddis, en admettant qu’il offrait des signes clairement psychiatriques, n’était pas fou comme le furent avant lui Hölderlin ou Frédéric Nietzsche – c’est-à-dire d’avoir poussé si loin son exploration d’une « autre réalité », qu’il en demeura à jamais marqué dans sa chair et son esprit ?
Dans son dernier Séminaire publié, Jacques Lacan ne posa-t-il pas ainsi la notion de synthome (et toutes les association d’idées sur ce mot sont évidemment les bienvenues), qui dénote chez celui qui est « psychotique » l’accès à un ordre du langage et la trouée vers un réel auquel les « hommes quelconques » n’ont certes pas accès ?
Est-ce pour rien, de ce point de vue, que, en littérature, van Hoddis fut l’un des chefs de file de l’expressionnisme – rappelant de la sorte l’improbable géométrie des images du Cabinet du docteur Caligari, ou anticipant sur les intuitions les plus fulgurantes d’un Murnau ?
Et lisons – et relisons — le dernier poème qui nous est offert de lui, qui date de 1918, et qui, sous le titre « Der Idealist » (je comprends assez d’allemand pour entendre ce mot-là !), se termine par ces mots : « Là-dessus, même si dans l’escalier la/ peur de chaude pisse le traversait encore,/ il jura fidélité sans remords/ une fois encore, obstiné malgré tout, à sa/ noble devise : Nature, nature ! »
Présentation de l’auteur
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