On ne peut lire, à ce qu’il me parait, le dernier ouvrage de Gérard Pfister en faisant l’économie des deux recueils qui l’ont précédé, et dont le titre était déjà très parlant : « Le grand silence » voici trois ans, qui annonçait bien des thèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, ou, l’année dernière, ce « Le temps ouvre les yeux », qui nous force à nous poser bien des questions sur le monde où nous croyons vivre… Le tout regroupé sous le titre générique « La représentation des corps et du ciel », et chacun de ces volumes étant sous-titré « Oratorio ».
Oratorio, en effet, tant le langage y est épuré, tendant vers ce qui serait un silence essentiel, comme le « gonflement » musical de ce silence où nous apprenons à nous affranchir de ce à quoi une langue trop connue nous contraint malgré elle. Comme le note d’ailleurs l’auteur dans un petit texte qui porte le nom de « Cet art du peu » : « C’est un combat inégal que le langage nous impose, tellement il nous est devenu familier et comme naturel, et, dans sa fausse évidence, nous retient prisonniers. Mais comment pourrions-nous espérer recouvrer notre liberté sans combattre le maléfice par quoi elle nous a été confisquée ? Cet art du peu est donc aussi le plus risqué et le plus nécessaire qui nous oblige à porter le fer là même où nous avons été défaits : là où les mots ont pris la place de notre vie. »
On a aussitôt envie de dire : tentative réussie !
Et serais-je emporté par ma passion personnelle lorsque j’aperçois des parentés qui me semblent évidentes avec la pensée de maître Eckhart (particulièrement avec son poème « Le Grain de sénevé) — et, plus largement, avec tous les thèmes de la théologie négative comme ils ont été déployés par Grégoire de Nysse dans sa « Vie de Moïse » ou par le pseudo-Denys dans sa « Théologie mystique » ?
Après tout, l’ « oratorio », en creusant notre langue, ne commence-t-il pas par « à présent/ il fait nuit// et tout/ est clair » − pour se poursuivre bien plus loin par « pourquoi/ avoir eu peur// de la matière/ du vide// pourquoi /avoir voilé// de noir/ cette lumière// des corps// (…)//et tu es/dans l’absence// (…)//rumeurs/ avant de s’écouler// au grand jour/ du silence » ?
Et si c’était cela, décidément, la poésie ?
Cet art de limer le langage pour lui faire rendre gorge de ce silence primordial que nous ne pourrons jamais « dire » − comme au ras de ce silence, et de cette ineffable transcendance dont il tente comme il peut de rendre compte ?
Le recueil s’intitule : « Présent absolu ». Et n’est-ce à ce Présent que nous sommes ainsi introduits − sans oublier, bien sûr, qu’il n’y a de présent que par l’effet d’une Présence qui s’impose à nous… ?
Notre ami et collaborateur Michel Cazenave vient de faire paraître : Le Bel Amour
- Grenier du Bel Amour (1) : Jakob Von Hoddis - 5 juillet 2021
- Hommage à Michel Cazenave - 4 septembre 2018
- Le Bel amour (23). L’amour de la madeleine - 29 décembre 2016
- Le Bel amour (22), Le surréalisme et la Bretagne - 15 décembre 2016
- Notre relation au monde - 14 décembre 2016
- Le Bel amour (21). Des lettres plutôt que des figures. - 16 novembre 2016
- Grenier du Bel Amour (17) - 11 novembre 2016
- Grenier du Bel Amour (16) - 13 octobre 2016
- Grenier du Bel Amour (15) - 22 septembre 2016
- Le Bel amour (24). Erich Neumann : Origines et histoire de la conscience - 8 septembre 2016
- Le Bel amour (20), L’Egypte, ce qu’on en sait ou qu’on en imagine - 24 août 2016
- Dernier grenier du bel amour, LES CHANTS DE LA RECLUSE - 13 juillet 2016
- Le Bel amour (19), Plaidoyer pour l’Ame du Monde - 21 juin 2016
- Le Bel amour (18), Le roi Arthur et ses légendes - 14 juin 2016
- Le Bel amour (27), La vérité du poète (sur Max Jacob) - 13 avril 2016
- Le Bel amour (26), Que de poésie ! - 19 mars 2016
- Le Bel amour (25), L’ivresse et la poésie - 4 mars 2016
- Egypte, plus vivante que jamais - 8 janvier 2016
- Grenier du Bel Amour (7) - 21 mars 2014