Guillaume Boppe, Le Coude
« L’avenue
qui mène
à l’autre pays »
La lectrice que je suis est touchée une fois encore par la finesse de l’écriture de Guillaume Boppe et sa justesse. Son élégance aussi. Le coude est le troisième recueil d’une série publiée chez le même éditeur. Trois recueils qui témoignent de la même exigence de précision et d’exactitude. Vague en 2012, Toi en 2014.
Le dernier, porte un titre énigmatique. Le coude. Le corps, la route. Deux sens comme deux indices possibles. Il est composé de deux parties Le Coude, sous-titrée "récit" et Rue des ambassades, sous-titrée "souvenirs". Ce qui est assez inhabituel en poésie.
La rue, le trottoir, la sirène, la voiture, ces éléments se mêlent en une atmosphère urbaine onirique qui devient rapidement familière dans son étrangeté même. Peut-être une ville du sud à cause des platanes de l’avenue, en tout cas une ville de « l’autre pays », celui de la mémoire et des souvenirs.
On pense à des paysages urbains de Chirico. Cette ville qui ne sera jamais nommée semble déserte. Seuls les souvenirs du narrateur-poète lui donnent une épaisseur et ses mots nous la rendent visible dans son effacement. Comme ces gens qui s’extraient d’une voiture et que Guillaume Boppe nomme « les prévenants ».
Il y a là un univers singulier marqué par le silence et qui nous donne à voir un monde resserré dans l’espace d’une ville qui ne sera jamais nommée. L’enfance ? Un espace étouffant et pourtant traversé par le poème, qui devient promenade entre la vie et la mémoire. Le regard du narrateur-poète rappelle celui d’un enfant. Une innocence du regard qui montre juste ce qu’il voit :
« le bras se rapproche
des hanches »
Et nous, lecteurs, nous rapprochons, comme le poète de ses souvenirs. Puisque nous marchons rue des ambassades, sous les platanes d’une ville inconnue. Chaque lecteur l’arpente à son tour et la reconnaît, parce que Guillaume Boppe nous y entraîne dans la retenue. Lecture devient ici cheminement.
Les poèmes constituent une suite marquée de jalons dont ceux de la dernière partie constituent une étape importante dans la progression vers le souvenir retrouvé. Leur étrange atmosphère se révèle parfois douloureuse et, en même temps, telle l’eau souterraine dont se nourrissent les morts (et les mots), essentielle.
« une ville dont on voudrait se faire un voile
un dimanche sans but
sauf sa dernière lumière venue »
Est-il écrit à la dernière page. On y retrouve la pudeur et la délicatesse du poète pour dire ce qui, du passé et du présent a permis le surgissement du poème.
La couverture de Michel Foissier rend justice au texte, bleue et traversée d’un arc lumineux. Le coude.