Nuit en train
Par la fenêtre, les étoiles roulent
Sous les ronflements du ciel
Je regarde l’aube mourir
Dans les yeux de mon voisin
J’avance, toujours, j’avance
Droit devant
Des lanières pendent comme des lianes
Avec au bout des morceaux de rêves.
Les fées ont cessé d’exister
Dans ce monde merveilleux
Paroles
La nuit est tombée plus soudaine
Ce soir que les autres
Mais le bébé aux grands yeux
Ecarquillés derrière la vitre
N’est pas encore endormi.
Un plat de nouilles
Jonche le plancher des steppes
Dans les bras de sa mère
L’enfant au pullover vert
Parle sans aucun son.
Il parle des maisons de bois
Qui se perdent dans l’horizon
Des poteaux du téléphone
Qui transmettent les ultrasons
Des couples séparés, des vieux isolés.
Il parle de la route qui file parallèle
De son asphalte noir
Des quelques phares qui la sillonnent
Un homme dans un pick-up
Rentre chez lui ce soir.
Il parle de sa vie à lui
Qui grandira pas loin d’ici
Il parle à la nuit
Qui vient le prendre
Avec tous ses amis.
Il parle des policiers
Qui patrouillent, menottes et revolver
Rangés au garde à vous
Juste au cas où
On ne sait jamais.
Il parle des bouleaux, des pins
Des arbres qu’il dépeint
Sur son cahier de coloriage
Dont l’encre séchée
Déborde des pages.
Il parle pour tout le monde
Entre ses quenottes
Encore en terre
Pour la mère qui finit le souper
En attendant ses enfants du siècle passé.
Il parle à n’en plus finir
Mais personne n’y prête attention
Au petit garçon
Qui voit et entend
Tout ce que les hommes ont enterré
Depuis le premier jour.
Avikn
Mollets veinés et chevilles gonflées
De la babouchka qui dort,
Aimable voisine
Sur son sac Baci d’Italie
Une bagouze
Pour chaque annulaire potelé
Deux perles grises se balancent
Au gré des rêves
Qui viennent troubler le repos du corps
Avec les sursauts d’une âme
En tous points banale.
Des marguerites semblent prises au piège
Dans ce dédale incohérent où
Les lignes azur s’étirent
Jusqu’à croiser les nues
Tapis brillant à l’infini
Sur lequel le soleil
Étranger d’une autre galaxie
Vient s’étaler (avec délectation)
Pschitt !! Ventoline Ventoline
Pour ne pas que mère Russie
Ne s’étouffe sans un cri
D’un châle noir le visage recouvert,
Un chat miaulant sans fin
Sa féline détresse,
Et ne finisse, beauté alcaline
Rongée par les vers de l’oublis
Un peu d’humus vert et gris
Au pied des saules meurtris
Des iles Sakhalines
Le bruit des tempes
Les turbulences ralenties de l’esprit
Je rame sans me mouvoir
Au-dessus des plaines
De Moldavie
Nappées d’or et d’argent
Jusqu’à enfin tomber
Disparaitre
Dans mon désert de paradis
Engouffrant la carlingue
Et le reste du monde
Dans un lent sanglot
Las Ici-bas
Sous les lames du froid
Les maisons de bois
Meuglent et crie
Sous les coups qui broient
Leurs plaintes quotidiennes.
La neige bourdonne
Autour des habitations
Essaim de guèpe
Venus butiner joyeusement
Les fleurs qui poussent
Dans les plaines de Sibérie
Les chiens aboient
La Lada nevia passe
Entre les tours de bois
Que l’hiver réduira
À peau de chagrin
Avant les premières chaleurs de juin.
La cheminée tousse
Un filet qui vient prendre
Les derniers rayons de lumière
Dans ses mailles tendres
Pêcheurs au grand air
Dans les steppes austères
Et les gens dans tout ça ?
Ils sont au chaud à attendre, à s’instruire
À s’activer, à réparer, à construire
De nouvelles maisons
Pour les futures générations.
Certains ont déjà foutu le camp
Loin de cet enfer blanc envahissant.
D’autre que la fatigue a pris
Dans ses lambeaux, ses bras
Noient leurs malheurs tristes et aigris
Dans l’alcool de Taïga
Parfois, un humain un peu bizarre
S’approche un peu et puis repart
Comme un animal sauvage
Mais ce n’est qu’un touriste de passage
Ephémère venu gouter aux charmes exotiques
De ces contrées subarctiques.
24.10
Une pause rapide
Dans l’air froid du soir
Dans une ville, un quai
De gare.
Les fumeurs descendent
Et attendent
Que la neige
S’arrête de fumer
Les mains tiennent en tremblant
Le trait longiligne
Lueur louvoyante
Perdue au milieu de nulle part
Des chiens vaquent
Muets aux alentours
L’un semble prêt
Pour le grand départ
Elle entoure, elle embrasse
Et etreint
La taiga partout
S’etire dans l’horizon
Seuls les oiseaux migrateurs
En connaissent la fin
Comme le dit le vieux russe
Au bord du chemin
La glace crisse et craque
Rouée de coup
Le camion est bloqué
Au milieu de la flaque.
Des trains dans tous les sens
Viennent et vont
Avec eux l’espérance
Des jours radieux
Au chaud, derrière la fenêtre
Je contemple chaque seconde
Le spectacle identique
De cet océan blanc
Qui défile sous mes yeux
Caméras au front
Bien décidés
A se déclarer témoin
Du meurtre qui a été
Sous mes yeux ébahis
Mais dans l’indifférence normal
Des hôtes de ces lieux
Une nouvelle nuit est tombée
Sous les balles du jour
La forêt s’endort
Et le train passe.