Guillaume Métayer, Singe et autres poèmes

Par |2024-01-07T07:26:05+01:00 6 janvier 2024|Catégories : Guillaume Métayer, Poèmes|

 

Singe

Nous par­lons d’un secret à qua­tre avec la morte. Je racon­te com­ment l’on peut reconstituer 
une côte à par­tir de quelques lumières. Com­ment on enterre une ami­tié d’été. Mes réflexions 
l’intriguent. Je ne boude pas cette mon­naie de singe : les songes.

Étais

Cette jeunesse a passé penchée sur les livres à attrap­er des pois­sons volants. Puis, je me suis 
lassé des étés et des étais. Ma tête s’est mise à tenir toute seule, inter­loquée. Puis, elle est 
dev­enue si lourde que j’ai dû la pos­er en arrière et regarder le pla­fond à l’affût des plis de la 
peinture.

Bar­res parallèles

S’il est vrai que l’on revoit toute sa vie au moment de sa mort, je dois être en train de mourir 
sous une forme extrême du ralen­ti. Tout, sans cesse, revient, plus pré­cis. Deux bor­ds du 
cal­en­dri­er se rejoignent en une dou­ble vie des deux rives. Des deux ram­pes avant le grand 
saut. C’est ain­si que je serai mort aus­si à vingt-cinq ans.

Pla­ton

Vu à la télé : l’idée. Sous la pluie de lumière des spots pub­lic­i­taires, l’atrophie tigrée des êtres, 
le monde aggloméra­tion sous l’orage de sep­tem­bre, des découpes comiques en grand nombre. 
Et puis un jour, la poésie, dont la pièce sans cesse oscille.

 

Belle

Je peux par­faite­ment dire qui est la plus belle femme du théâtre. C’est un savoir devenu 
d’autant plus exact qu’il ne m’est d’aucune util­ité. D’abord, parce que tout le monde pourrait 
faire le même con­stat que moi. Ensuite, car dès qu’elle s’aperçoit, de l’autre côté du bar, que 
je l’ai per­cée à jour, je fuis son regard. La beauté est un chapitre. Je relis.

 

Caméra

Ma caméra de 2020 ren­con­tre ma caméra des années 1980. Tout est pareil, tout est différent. 
Le métro est le métro. L’escalator rep­tilien est tou­jours au même endroit. La sil­hou­ette floutée 
jusqu’aux ailes d’un imper­méable d’adolescent l’arpente devant moi comme un défilé, entre 
course et décol­lage. Nous n’avons pas assez de sou­venirs de tra­jec­toires. Nos cornées sont des 
catins.

 

En traduisant

L’apparition du saurien de pix­els le long de cette pente famil­ière nous ren­dit d’un coup la 
sta­tion debout. L’illusion ouvrait les pupilles de l’amitié. Et ses ailes : nous avons contemplé 
la ville pointil­liste, prête à bondir de son som­meil d’époque, traîné nos sabres dans tous les 
étages de l’appartement cap­i­tale, talon­né les habita­cles avec des bruits de trom­bone, de 
mas­ti­ca­tion d’acier. Au ressac sur la plage de Babel les scin­til­la­tions du sable et du sens. Ce 
rec­tan­gle mod­ique serait-il la seule ardoise où cette appari­tion opère encore, peut-être pour le 
seul sourci­er, les manch­es pris­es dans les deux plans ? Si l’être humain est une braise dans le 
souter­rain des idiomes, mon gosier de chair n’aura par­lé qu’une seule langue, celle du temps 
qui passe sans se comprendre.

Présentation de l’auteur

Guillaume Métayer

Né à Paris en 1972, Guil­laume Métay­er est chercheur au CNRS, tra­duc­teur et poète. À côté de poèmes (notam­ment Libre jeu, Car­ac­tères, 2017, pré­face de Michel Deguy), et d’essais cri­tiques (tels que Niet­zsche et Voltaire, Flam­mar­i­on, 2011 ; ou, sur la tra­duc­tion, A comme Babel, pré­face de Marc de Lau­nay, La Rumeur libre, 2020), il traduit du hon­grois, tant les poètes et écrivains con­tem­po­rains (István Kemény, Kriszti­na Tóth…) que mod­ernes et roman­tiques (Gyu­la Krúdy, Atti­la József, Sán­dor Pető­fi…), ain­si que de l’allemand (Poèmes com­plets de Niet­zsche, Les Belles let­tres, 2019 ; Kaf­ka ; poésie con­tem­po­raine autrichi­enne) et du slovène (Aleš Šte­ger). Il est mem­bre du comité de rédac­tion des revues Po&Sie et Place de la Sor­bonne et ani­me un ate­lier d’écri­t­ure poé­tique à Sor­bonne université.

Pho­to © Gyu­la Czimbal.

Bibliographie

poésie

  • Fugues, Aumage, 2002.
  • Libre jeu, pré­face de Michel Deguy, Car­ac­tères, 2017.

essais

  • Niet­zsche et Voltaire. De la lib­erté de l’esprit et de la civil­i­sa­tion, pré­face de Marc Fumaroli, Flam­mar­i­on, 2011, Prix Émile Perreau-Saussine.
  • Ana­tole France et le nation­al­isme lit­téraire. Scep­ti­cisme et tra­di­tion, Le Félin, 2011, Prix Hen­ri de Rég­nier de l’A­cadémie française, Prix de l’es­sai de la Revue des Deux Mondes.
  • A comme Babel. Tra­duc­tion, poé­tique, pré­face de Marc de Lau­nay, La rumeur libre Édi­tions, 2020.

choix de traductions

du hongrois

  • István Kemény, Deux fois deux, Car­ac­tères, 2008, Prix Bagar­ry-Karát­­son de tra­duc­tion du hongrois.
  • Atti­la József, Ni père ni mère, Sil­lage, 2010.
  • Sán­dor Pető­fi, Nuages, Sil­lage, 2013.
  • Gyu­la Krúdy, Le Coq de Madame Cléophas, avec Paul-Vic­­tor Desar­bres, Cir­cé, 2013.
  • Kriszti­na Tóth, Code-bar­res, Gal­li­mard, “Du monde entier”, 2014.
  • Budapest 1956. La révo­lu­tion vue par les écrivains hon­grois (dir.), Le Félin, 2016.
  • János Garay, Háry János, le vétéran, pré­face de Karol Bef­fa, Le Félin, 2018.

de l’allemand

  • Franz Kaf­ka, Le Ver­dict, Sil­lage, 2011.
  • Friedrich Niet­zsche, Poèmes com­plets, Les Belles let­tres, 2019.
  • Andreas Unter­weger, Poèmes, avec Lau­rent Cas­sag­nau, Print­emps des poètes & La Tra­duc­tière, 2019.
  • Ágnes Heller, La Valeur du hasard. Ma vie, éd. G. Haupt­feld, Rivages, 2020.

du slovène

  • Aleš Šte­ger, Le Livre des choses, avec Math­ias Ram­baud, Cir­cé, 2017.

bande dessinée

  • Rav­el, un imag­i­naire musi­cal, avec Karol Bef­fa et Alek­si Cavaillez, Seuil-Del­­court, 2019.

éditions de textes & préfaces

  • Ana­tole France, Le Livre de mon ami, Rivages, 2013.
  • Bernardin de Saint-Pierre, Éloge his­torique et philosophique de mon ami, Rivages, 2014.
  • Balzac, Stahl [Het­zel], Nodi­er, Scènes de la vie privée et publique des ani­maux, Rivages, 2017.
  • Friedrich Niet­zsche, Hymne à l’amitié, traduit par N. Waquet, Rivages, 2019.

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