Ma curiosité a été piquée par ce Gustavo Adolfo Bécquer (1836 – 1870) dont la poésie, héritière du Romantisme, fut saluée par Antonio Machado, Federico Garcia Lorca, entre autres, pour les horizons qu’elle ouvrait. Au cours de sa vie, seulement une quinzaine de poèmes de cet auteur, mort jeune (34 ans), furent publiés. Le recueil Rimas sera édité à titre posthume en 1871.
Le thème dominant de ces quelques 76 poèmes est l’amour (dans le bonheur ou dans les affres), mais aussi la création, la solitude, la mort… C’est cette dernière partie (en gros, les vingt-cinq derniers poèmes) que j’estime les plus réussis. Mon point de vue, cependant, s’établit sur le texte français – on sait les difficultés de la traduction (saluons ici le travail de Monique-Marie Ihry) – et le texte original propose, en espagnol, des sonorités plus chantantes. Par exemple :
Tu pupila es azul y, cuando lloras,
las tansparentes lágrimas en ella
se me figuran gotas de roció
sobre una violeta.Ta pupille est bleue et, lorsque tu pleures,
les larmes transparentes en elle logées
me font penser à des gouttes de rosée
sur une violette.
Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes, Cap de l’Étang Éditions, 2022, 219 pages, 21 €.
Sur le processus de création, Bécquer écrit :
Flèche qui en volant
traverse, lancée au hasard,
et dont on ne sait où
en tremblant elle se plantera
Et dans un autre poème :
Tremblement étrange
bousculant les idées
tel l’ouragan qui pousse
en masse les vagues ,
[…] activité nerveuse
ne trouvant pas d’occupation ;
n’ayant pas de rênes pour la guider,
cheval volant ;
[…] Telle est l’inspiration.
[…] ingénieuse main
qui dans un collier de perles
parvient à réunir
les mots indociles.
J’ai dit qu’il est question d’amour dans ce livre. Il est souvent idéalisé :
Lorsque sur la poitrine tu inclines
ton front mélancolique
pour moi tu ressembles
à un lys cueilli.
Mais il est aussi question de désillusion, de trahison (on sait que son épouse, lui ayant donné deux enfants, en attendait un troisième qui n’était pas de lui).
Elle m’a blessé en se dissimulant dans les ombres,
en scellant d’un baiser sa trahison.
Elle a mis ses bras autour de mon cou, et dans le dos,
elle m’a fendu le cœur de sang froid.
Bécquer mourra jeune (syphilis ou tuberculose) et il en a conscience. Cela jette un dais noir au-dessus de nombre de ses poèmes. Y compris dans l’expression de son ressentiment :
Du peu de temps qu’il me reste à vive
je donnerais avec plaisir les meilleures années,
pour savoir ce qu’aux autres
tu as dit à mon sujet.
Avec, parfois, des accents quasi baudelairiens :
Vagues gigantesques qui vous brisez en bramant
sur les plages désertes et lointaines,
enveloppé dans les draps d’écume,
emportez-moi avec vous !
[…] Emportez-moi, par pitié, là où le vertige
avec la raison me prive de la mémoire.
Par pitié ! J’ai peur de rester
seul avec ma douleur.
Le plus remarquable à mon sens (et le plus long) poème du recueil relate tout ce qui entoure la mort d’une fillette, depuis les rites (lui fermer les yeux, couvrir son visage d’un linge blanc), jusqu’à sa mise en terre, avec en sus le souvenir lancinant de l’auteur et ses interrogations sur un possible au-delà. Et cette antienne : - Mon Dieu, combien seuls / sont les morts !
La lumière qui dans un vase
brûlait sur le sol,
l’ombre du lit au mur projetée,
et à travers cette ombre,
par intervalles l’on voyait,
rigide se dessiner
la forme du corps.
Le reste à l’avenant, description clinique dans sa rigueur et empathique, pleine de douloureuse émotion. Un immense poème, qui, à lui seul, vaut mon admiration pour l’auteur.
La poussière revient-elle à la poussière ?
L’âme s’envole-t-elle au ciel ?
Sans âme, tout est-il
pourriture et boue ?
Présentation de l’auteur
- Les Carnets du Dessert de Lune : Lune de Poche ! - 6 novembre 2024
- Autour des éditions Aux cailloux des Chemins : Matthieu Lorin, Dominique Boudou et Thierry Roquet. - 6 septembre 2024
- Jean-Louis Rambour aux éditions L’herbe qui tremble - 6 mai 2024
- Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes - 6 avril 2024
- Claude Favre, Thermos fêlé - 1 mars 2024
- Richard Rognet, Dans un nid de flammes - 6 février 2024
- Autour des éditions L’Herbe qui Tremble : Philippe Mathy, Derrière les maisons, Judith Chavanne, De mémoire et de vent - 6 janvier 2024
- Kaled Ezzedine, Loin - 21 décembre 2023
- Les Cahiers du Loup bleu - 29 octobre 2023
- Philippe Leuckx, Matière des soirs - 20 mai 2023
- Benjamin Torterat, L’Etendue passionnelle - 29 avril 2023
- Loïc Demey, Jour Huitième - 21 avril 2023
- Emmanuel Echivard, Pas de temps - 6 avril 2023
- Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes - 20 mars 2023
- Ángelos Sikelianós, Le Visionnaire - 6 mars 2023
- Un Sicilien très français : Andrea Genovese - 21 février 2023
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- Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra - 4 décembre 2022
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- Une flânerie à travers la poésie contemporaine mexicaine - 6 juillet 2019
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