Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes

Par |2023-03-20T08:45:04+01:00 20 mars 2023|Catégories : Critiques, Gustavo Adolfo Bécquer|

Ma curiosité a été piquée par ce Gus­ta­vo Adol­fo Béc­quer (1836 – 1870) dont la poésie, héri­tière du Roman­tisme, fut saluée par Anto­nio Macha­do, Fed­eri­co Gar­cia Lor­ca, entre autres, pour les hori­zons qu’elle ouvrait. Au cours de sa vie, seule­ment une quin­zaine de poèmes de cet auteur, mort jeune (34 ans), furent pub­liés. Le recueil Rimas sera édité à titre posthume en 1871.

Le thème dom­i­nant de ces quelques 76 poèmes est l’amour (dans le bon­heur ou dans les affres), mais aus­si la créa­tion, la soli­tude, la mort… C’est cette dernière par­tie (en gros, les vingt-cinq derniers poèmes) que j’es­time les plus réus­sis. Mon point de vue, cepen­dant, s’établit sur le texte français – on sait les dif­fi­cultés de la tra­duc­tion (salu­ons ici le tra­vail de Monique-Marie Ihry) – et le texte orig­i­nal pro­pose, en espag­nol, des sonorités plus chan­tantes. Par exemple :

Tu pupi­la es azul y, cuan­do lloras,
las tans­par­entes lágri­mas en ella
se me fig­u­ran gotas de roció
sobre una violeta.

Ta pupille est bleue et, lorsque tu pleures,
les larmes trans­par­entes en elle logées
me font penser à des gouttes de rosée
sur une violette.

Gus­ta­vo Adol­fo Béc­quer, Rimes, Cap de l’Étang Édi­tions, 2022, 219 pages, 21 €.

 

Sur le proces­sus de créa­tion, Béc­quer écrit :

Flèche qui en volant
tra­verse, lancée au hasard,
et dont on ne sait où
en trem­blant elle se plantera

Et dans un autre poème :

Trem­ble­ment étrange
bous­cu­lant les idées
tel l’oura­gan qui pousse
en masse les vagues ,
[…] activ­ité nerveuse
ne trou­vant pas d’occupation ;
n’ayant pas de rênes pour la guider,
cheval volant ;
[…] Telle est l’inspiration.
[…] ingénieuse main
qui dans un col­lier de perles
parvient à réunir
les mots indociles.

J’ai dit qu’il est ques­tion d’amour dans ce livre. Il est sou­vent idéalisé :

Lorsque sur la poitrine tu inclines
ton front mélancolique
pour moi tu ressembles
à un lys cueilli.

Mais il est aus­si ques­tion de désil­lu­sion, de trahi­son (on sait que son épouse, lui ayant don­né deux enfants, en attendait un troisième qui n’é­tait pas de lui).

Elle m’a blessé en se dis­sim­u­lant dans les ombres,
en scel­lant d’un bais­er sa trahison.
Elle a mis ses bras autour de mon cou, et dans le dos,
elle m’a fendu le cœur de sang froid.

Béc­quer mour­ra jeune (syphilis ou tuber­cu­lose) et il en a con­science. Cela jette un dais noir au-dessus de nom­bre de ses poèmes. Y com­pris dans l’ex­pres­sion de son ressentiment :

Du peu de temps qu’il me reste à vive
je don­nerais avec plaisir les meilleures années,
pour savoir ce qu’aux autres
tu as dit à mon sujet.

Avec, par­fois, des accents qua­si baudelairiens :

Vagues gigan­tesques qui vous brisez en bramant
sur les plages désertes et lointaines,
envelop­pé dans les draps d’écume,
emportez-moi avec vous !
[…] Emportez-moi, par pitié, là où le vertige
avec la rai­son me prive de la mémoire.
Par pitié ! J’ai peur de rester 
seul avec ma douleur.

 Le plus remar­quable à mon sens (et le plus long) poème du recueil relate tout ce qui entoure la mort d’une fil­lette, depuis les rites (lui fer­mer les yeux, cou­vrir son vis­age d’un linge blanc), jusqu’à sa mise en terre, avec en sus le sou­venir lanci­nant de l’au­teur et ses inter­ro­ga­tions sur un pos­si­ble au-delà. Et cette anti­enne : - Mon Dieu, com­bi­en seuls / sont les morts !

La lumière qui dans un vase
brûlait sur le sol,
l’om­bre du lit au mur projetée,
et à tra­vers cette ombre,
par inter­valles l’on voyait,
rigide se dessiner
la forme du corps.

Le reste à l’avenant, descrip­tion clin­ique dans sa rigueur et empathique, pleine de douloureuse émo­tion. Un immense poème, qui, à lui seul, vaut mon admi­ra­tion pour l’auteur.

La pous­sière revient-elle à la poussière ?
L’âme s’en­v­ole-t-elle au ciel ?
Sans âme, tout est-il
pour­ri­t­ure et boue ?

 

Présentation de l’auteur

Gustavo Adolfo Bécquer

Gus­ta­vo Adol­fo Béc­quer, né Gus­ta­vo Adol­fo Domínguez Basti­da Insausti de Var­gas Béc­quer Bausa le à Séville et mort le (à 34 ans) à Madrid, est un écrivain, poète et dra­maturge espagnol.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

Bib­li­ogra­phie 

  • L. Gar­cía Mon­tero, Gigante y extraño, Las Rimas de Gus­ta­vo Aldol­fo Béc­quer, Barcelona, Tus­quets Edi­tores, 2001.
  • D. Lecler, « Juan Ramón Jiménez, Gus­ta­vo Adol­fo Béc­quer : quand la musique de l’amour con­duit à l’essence du monde », in Revue des Langues Néo-latines, no 325 (), p. 19–31.
  • Jesus Rubio Jiménez, Pin­tu­ra y lit­er­atu­ra en Gustabo Adol­fo Béc­quer, Pre­mio Manuel Alvar de Estu­dios Humanís­ti­cos 2006, Sevil­la, Fun­dación José Manuel Lara, 2006.

Œuvres en traduction française

  • Légen­des espag­noles et con­tes ori­en­taux, antholo­gie de textes traduits, pré­facés et annotés par Annick Le Scoëzec Mas­son, Paris, Clas­siques Gar­nier, 2019.
  • Rimes (Rimas), recueil com­plet présen­té et traduit de l’es­pag­nol en français par Monique-Marie Ihry, Col­lec­tion bilingue n° 16, Cap de l’Étang Édi­tions, Capes­tang, France.

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Jean-Christophe Belleveaux

Jean-Christophe Belle­veaux est né en 1958 à Nev­ers. Il a fait des études de Let­tres Mod­ernes et de Langue Thaï. Grand voyageur, il a égale­ment ani­mé la revue de poésie Comme ça et Autrement durant sept années. Il a béné­fi­cié de deux rési­dences d’écri­t­ure (une à Rennes, l’autre à Mar­ve­jols) et a beau­coup pub­lié. Bib­li­ogra­phie : •Com­ment dire ? co-écrit avec Corinne Le Lep­vri­er, Édi­tions La Sirène étoilée, 2018 •Ter­ri­toires approx­i­mat­ifs, Édi­tions Faï fioc, 2018 •Pong, Édi­tions La tête à l’en­vers, 2017 •L’emploi du temps, Édi­tions le phare du cous­seix, 2017 •cadence cassée, Édi­tions Faï Fioc, col­lec­tion “cahiers”, 2016, •Frag­ments mal cadas­trés, Édi­tions Jacques Fla­ment, 2015 •L’in­quié­tude de l’e­sprit ou pourquoi la poésie en temps de crise ? (ouvrage col­lec­tif de réflex­ion de 21 auteurs), Édi­tions Cécile Defaut, 2014 •Bel échec co-écrit avec Édith Azam, Le Dernier Télé­gramme, 2014 •Démo­li­tion, Les Car­nets du dessert de Lune, 2013 •ces angles raturés, ô labyrinthe, Le Frau, 2012 •Épisode pre­mier, Raphaël De Sur­tis, 2011 •CHS, Con­tre Allées, 2010 •Machine Gun, Poten­tille, 2009 •La Fragilité des pivoines, Les Arêtes, 2008 •La quad­ra­ture du cer­cle, Les Car­nets du dessert de Lune, 2006 •soudures, etc., Pold­er / Décharge, 2005 •Cail­lou, Gros Textes, 2003 •Nou­velle approche de la fin, Gros Textes, 2000 •Géométries de l’in­quié­tude (nou­velles), Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •Dans l’e­space étroit du monde, Wig­wam, 1999 •Pous­sière des lon­gi­tudes, ter­mi­nus, Ed. Rafaël de Sur­tis, 1999 •le com­pas brisé, Pays d’Herbes, 1999 •Car­net des états suc­ces­sifs de l’ur­gence, Les Car­nets du dessert de Lune, 1998 •Le fruit cueil­li, Pré Car­ré, 1998 •Bar des Pla­tanes, L’épi de sei­gle, 1998 •sédi­ments, Pold­er / Décharge, 1997 •L’autre nuit (avec Yves Humann), édi­tions Saint-Ger­main-des Prés, 1983 En antholo­gies : •Nous la mul­ti­tude, antholo­gie réal­isée par Françoise Coul­min aux édi­tions du Temps des ceris­es, 2011 •Dehors, antholo­gie sans abris, édi­tions Janus, 2016 •Plus de cent fron­tières (par­tic­i­pa­tion à l’an­tholo­gie), édi­tions pourquoi

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