Guy Ferdinande , Demain la veille ! et autres textes

2018-01-24T15:25:18+01:00
« Je par­le pour dans dix siècles »
Léo Fer­ré
« Je l’affirme et je signe » 
Jean Fer­rat

Demain la veille !

 

— Quand les cari­bous revien­dront, les car­a­vanes revien­dront, les hiboux revien­dront, pour la frime, pour la forme, pour la rime, les lilas blancs des frimas sur­giront, et les giroflées emmi­tou­flées, et les bougainvil­liers et les bayadères enam­ourées, tout ça. Oh, le ramdam !

Quand les cari­bous revien­dront, les beaux jours revien­dront, les estur­geons remon­teront à nou­veau le cours de la Deûle. D’un bruit sec dans les courées du passé les inquié­tudes tomberont comme les chiffes molles qu’elles seront dev­enues, et les crabes, et les dettes, alouette…

— Ah, Lou, êtes-vous bien sûre de ce que vous me promettez-là ?

— Quand les cari­bous revien­dront, les guim­bardes revien­dront, les kazoos revien­dront et les grigous (vieilles badernes !) et aus­si les sagouins sécheront sur pied, je tiens ça de bonne source.

Quand les cari­bous revien­dront, les journées revien­dront, ron­des, pulpeuses, juteuses, sucrées, comme tout ce qui est rond pulpeux juteux et sucré se doit d’être sous peine de faire men­tir les cari­bous qui, quand ils revien­dront, auront à cœur de débus­quer la cara­bis­touille dans le marc du café matutinal.

Quand les cari­bous revien­dront les nochères vibreront à nou­veau à la nuit tombante, — car les nuits revien­dront, et, ce faisant, les jours — alors les damnés de la terre et les hymnes poudreux qui s’enflamment comme de l’amadou à la nuit tombée revien­dront (dirons-nous de l’amadou du cari­bou et des cors aux pieds que l’un va à l’autre comme la carpe au latin ? Et pour­tant ite mis­sa est.).

Quand les cari­bous revien­dront, les Algo­nquins revien­dront, et les Hurons, et la langue verte des Algo­nquins, et celle écar­late des Hurons, et celle tête-bêche des poteaux. Les cari­bous ne font pas peur, nulle crainte à avoir : chaque soir sera piste aux étoiles filantes… quand ils reviendront !

Car ils revien­dront les chers cari­bous de nos bonnes pioches, et avec eux accou­rus d’Australie les din­gos, accou­rus d’Aix-la-Chapelle les tra­vailleurs du cha­peau, les têtes de linottes, les zozos, accou­rus de Nonochie les Nonoches, accou­rus de Babachie les Babach­es, nos frères en fari­boles, et aus­si les Ostro­goths, les Bur­gondes, les Bigoudens, les Burnous, les Clafoutis, les Tin­touins, les Milleper­tu­is, tous plus cari­bous les uns que les autres.

Quand les cari­bous revien­dront, les colchiques rede­vien­dront vis­i­bles der­rière équar­ris­seurs et oligochètes appointés, et aus­si et encore les cari­bous, car en effet quand les cari­bous revi­en­nent tous les cari­bous revi­en­nent, absol­u­ment tous, ce qui vis­i­ble­ment sem­ble leur règle.

En quelques mots comme en cent : quand les cari­bous revien­dront les cari­bous revien­dront, ce sera fête alors ; l’aire du taon ne sera plus d’aucun fond d’ère, nous serons ver­nis, et comme nous en aurons soupé de toute cette pous­sière nous ne serons plus tenus d’opposer muni­tions à puni­tions, pou­voir à pos­si­bil­ité, sucre à pince ou, comme l’exige la chute, pince à linge.

 

 

 

Le Paradoxe de la p’tite bête

(Tombeau de Qala Mara)

 

Où donc est passé le temps à corps per­du de la petite bête ? La petite bête qui mon­tait, qui mon­tait, n’était pas de celles qui ont aujourd’hui cette apparence de pou que d’aucuns se plaisent à chercher comme la toi­son d’or afin d’en découdre, pas du tout ! La petite bête qui mon­tait, qui mon­tait, avait l’opiniâtreté des héroïnes des fables de La Fontaine — grenouille, tortue, araignée, mouche, puce, cigale, four­mi —, elle qui saupoudrait de sep­tième ciel tant de mirettes et que nul jamais ne put décrier. L’été pro­fus per­dant son aigu­il­lon dans la botte de sept lieues, la sim­ple félic­ité cham­pêtre s’ouvrait à lui à l’égal du pre­mier bou­ton de rose. Le temps bat­tait la cam­pagne alors. Et puis, quand bien même ne l’aurions-nous pas con­nu, ce faune prime­sauti­er, malan­drin des four­rés, sub­orneur des fenils, au moins l’aurions-nous sucé de notre pouce. Une sai­son durant, l’été fut en effet le temps de l’être, mais c’est l’hiver, l’hiver dont les yeux rougis n’ont gardé du soir qu’un impas­si­ble sou­venir, qui est resté pour enrichir l’uranium et financer l’industrie des mou­ve­ments de masse. C’est comme ça que la vie a viré de bord. La vie !… Com­ment pour­rions-nous être en retard sur elle alors qu’avec la fin des grands mam­mifères c’est elle et non le marché noir du CO2 qui fut refoulée très loin au-delà du périphérique. Abeilles, coqueli­cots, cri­quets, mer d’Aral, lac d’Ourmia, s’ensuivirent. L’air n’est plus que fumée opaque et négo­ces humanophages. La vie !… Sa facétieuse jacasserie passée de mode, ne restent plus que les peaussiers du dimanche pour peign­er la rigueur boréale. N’est-il pas plus pra­tique que vivre ne soit pas une pra­tique, demande le Sphinx ? On se trompe, bien sûr, on se trompe con­tin­uelle­ment, surtout quand on écrit ain­si que je suis en train de le faire. Vivre c’est se tromper. Écrire c’est se tromper. Et c’est pour cela qu’on écrit, pour ten­ter de repass­er par le chemin qui ne nous a pas emmenés dans l’île fan­tôme que nous crûmes après coup avoir désiré gag­n­er. Quand les poux se dressent sur leur séant pour ban­nir le bleu des foins, sommes-nous les chiens de nos ailes ?

 

 

 

Seule demeure

Il faut qua­tre murs pour faire une mai­son. Qua­tre murs. Il se trou­ve que qua­tre murs, c’est juste­ment ce dont ma mai­son s’enorgueillit : qua­tre murs, qua­tre murs de bonne brique avec porte, fenêtres, cham­bran­les, solives et sur chaque mur le cad­ran solaire en terre cuite de la Guilde des Bri­quetiers du Grand Matin.

Remar­quez, on peut aus­si faire une mai­son avec trois murs, la forme des com­modes ne s’accommode guère de trois murs mais avec l’invention prochaine des incom­modes à angles aigus ça va s’emboîter aux petits oignons. Je dis ça parce que ma mai­son n’a pas qua­tre murs mais trois. Trois murs. Si une mai­son à trois murs est une mai­son, alors ma mai­son en est une.

Je viens de dire « trois » ? C’est fort étrange. J’ignore com­ment ça m’est venu. Je ne con­nais pas le chiffre trois et je n’ai même jamais su compter jusqu’à trois. Je sais compter jusqu’à qua­tre : un pre­mier mur, un sec­ond mur, un qua­trième mur, mais je ne sais pas compter jusqu’à trois. Mieux vaut abréger alors.

Ma mai­son a deux murs. Deux murs. Ma mai­son est le couloir qui, l’heure venue, me per­me­t­tra d’accéder à ma mai­son. Il faut deux murs, deux murs de bonne brique pour faire un couloir. Plus tard, ce sera une mai­son mais pour l’instant il faut un début à tout. Jadis ma mai­son a dû avoir trois ou qua­tre murs, je ne me rap­pelle plus, seule­ment avec les bom­barde­ments c’est devenu un couloir, un bon couloir bien aéré. S’il ne faut que deux murs pour faire un courant d’air, récipro­que­ment un courant d’air est néces­saire et suff­isant pour faire un couloir. Ce couloir est pré­moni­toire : ce sera une bonne mai­son, c’est déjà une bonne maison.

Mais ce sont des his­toires tout ça, ne m’écoutez pas ! Il n’y a plus eu de bom­barde­ments par ici depuis per­pette. N’empêche que s’il y en avait eu le résul­tat serait le même.

À la vérité, il ne faut qu’un seul mur pour faire une mai­son. Un mur non pas de brique, et pas plus de pla­coplâtre ou de bam­bou, un mur en papi­er. Un mur en papi­er est bien suff­isant pour faire une mai­son. Que j’écrive sur ma mai­son et voilà ma mai­son. Le papi­er sur lequel j’écris sur ma mai­son c’est ma mai­son, ma mai­son d’être.

Alors, don­nons-nous en à cœur joie : il faut sept cent soix­ante-treize murs pour faire une mai­son, une mai­son de brique rouge des plus chic. Sept cent soix­ante-treize murs, pas un de moins ! Per­son­ne dans aucun quarti­er aisé ne pour­ra jamais en dire autant. Si vous en sup­primez un, un seul petit mur ! Elle n’a pas besoin de s’écrouler pour que ce ne soit plus une mai­son : sept cent soix­ante-douze murs et ce n’est plus une maison.

Main­tenant, si vous tenez absol­u­ment à ce que votre mai­son n’ait que sept cent soix­ante-douze murs — c’est une économie de bout de chan­delle ! — il vous faut en ce cas rem­plac­er le mur man­quant par un poème. Prof­itez-en, les poèmes sont vrai­ment pour rien en ce moment ! Mais si la ques­tion qui se pose à vous est réelle­ment d’économie, alors il importe de rem­plac­er chaque sous­trac­tion de mur par une addi­tion de poème. Au prix où sont les poèmes, l’économie sera substantielle.

À terme, si comme moi vous vous sat­is­faites d’un mur — main­tenant que nous avons vu qu’il ne suf­fit que d’un mur pour faire une mai­son, une mai­son bien épaisse —, il vous fau­dra en ce cas écrire sept cent soix­ante-douze poèmes. Mais vous avez le temps, la vie est vrai­ment pour rien en ce moment, il faut en profiter.

Présentation de l’auteur

Guy Ferdinande

Guy Fer­di­nande, né le 2 févri­er 1950 à Lille.
Dès 1967, exerce des métiers aus­si divers que dac­ty­lo­­graphe-fac­­turi­er, employé de banque, lab­o­ran­tin, ouvri­er spé­cial­isé, fac­teur, édu­ca­teur ou enseignant de let­tres modernes.
Pre­miers poèmes en 1969.
Pra­tique le dessin depuis toujours.
Épouse Dan (Danièle) en 1972 à Avignon.
Étudie le chant et pra­tique le chant choral onze ans durant.
Pas­sion­né d’art lyrique et de musiques extra-occidentales. 

Guy Ferdinande

Devient étu­di­ant en lit­téra­ture française et en philoso­phie à Vin­­cennes-Paris VIII dès 1974, ensuite à Lille 3.

Lance en mai 1984 avec Dan et des amis une revue dont les avatars vont porter jusque décem­bre 2018 les noms suiv­ants : Entre Tiens & autres ; Pli ; Le Dépli amoureux ; Elle attend l’homme des bois ; Le Grand Hors-Jeu ! ; Le Grand Nord ! ; Comme un Ter­ri­er dans L’Igloo dans la dune ! ; Comme un Ter­ri­er dans l’Igloo… dans la dune ! ; Comme un poiri­er dans L’Hibou dans la lune ! et dernière­ment Tombeau de ta belle. En 34 ans, 193 numéros de revue parus et plus de cent recueils.

Pra­tique apéri­tive­ment le photomontage.

Fonde en 1998, à Lom­pret, La Petite Renarde Rusée (The Cun­ning Micro Vix­en Gallery), « la moins moyenne galerie du monde ».

Fon­da­tion des soirées poé­tiques inti­t­ulées Dîn­ers des Vilains Bon­shommes (& très vilaines bonnes femmes) ain­si que du Joyeux Par­ti Com­mu­niste que l’on retrou­ve tant auprès des sans-papiers qu’en man­i­fes­ta­tion à Moscou (en Bel­gique), en péleri­nage à Nazareth (Bel­gique égale­ment) ou lors d’une Longue Marche sur Paris (con­tre la CPPAP).

Se tourne vers des instru­ments comme le setâr, le tan­bûr et de très nom­breuses flûtes.

A pub­lié sous son nom et sous divers pseu­do­nymes par­mi lesquels Zerbin Buler, Efen­di Dur­ganÿ, Zarbi le Ch’ti, Dany Degreufin, Ruben Librèz, Gary D. Finenude, René Guy Faddin, Gufrey de Dinan, Adri­enne G. Dufy, Fred­dy E. Aun­ing, Achab-Jonas Zor­ba de la Man­cha, Dan & Fred Vigny, Blitzkrieg Jojo, Efen­di Dur­ganÿ, Rumour, etc.

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