Il s’agit de l’Avenir, Alphabétique d’Aujourd’hui. Il s’agit d’Amour, d’Absolu, mot galvaudé qui retrouve ici toute sa dimension, car ce recueil est habité par une Ame, celle de Gwen Garnier-Duguy. Un livre précieux à bien des égards…
Abécédaire où les mots recensés par le poète font sens : il faut voir dans cette énumération un parcours, initiatique, celui de l’homme, offert comme présent, toutes acceptions du mot confondues. C’est aussi une voie ouverte sur demain, ce que devra devenir demain…
Gwen Garnier-Duguy, Alphabétique d’aujourd’hui,
L’Atelier du Grand Tétras, Paris, 2018, 64 pages, 12 €.
Annonciation
Conduit par la seule énergie du poème, sans idée
préconçue, sans idée, avec rien à dire d’autre que la
présence des mots,dans un mouvement de spontanéité, ni rature ni
repentir, jaillissement simple, jaillissementnon pas écriture automatique mais sorte de performance
sans manière, sans calcul, faisant confiance, aux sons,
aux lettres,éprouver la capacité poétique de celui qui se dit
poète, la mesurer à l’aune de ce qui se présente, quitte
à découvrirn’avoir pas l’aptitude à faire lever le pain des images
marié aux sens du rythmejouer debout dans la vérité…
Tel est Gwen Garnier-Duguy, ” debout dans la vérité “. Il nous invite à le suivre dans ce poème liminaire, dans la confiance en notre intuition, seule guide à laquelle il confie sa poésie. Elle transparaît au fil des Versets d’un nouvel âge qui composent le recueil, sur des pages denses. Et, comme il est d’usage pour ce poète, le travail de la langue est d’une sensibilité et d’une justesse rarement égalées. Il évoque notre monde “moderne” grâce à des champs lexicaux révélateurs de toute la dimension visionnaire de ces lignes. Et si Gwen Garnier-Duguy convoque Arthur Rimbaud, à l’instar de beaucoup, le “voyant” se voit restituée la justesse d’une voix qu’on a trop souvent galvaudée. Il en fait une lecture juste et entière , hors des sentiers rebattus d’une révolte post-adolescentine par trop soulignée.
Web
Tu avais lu dans l’avenir, Arthur Rimbaud, quand tu
parlas d’horreur économique fin dix-neuvième voyantle potentiel que l’ère industrielle investissait, entamant
la matière humaine, il y al’économie de l’amour, l’économie du plaisir,
l’économie du loisir, celle du rendement, bref, l’économie
de l’argent.C’est elle dont tu avais fait la synthèse dans ta boule
d’absinthe sans pouvoir mesurer dans le concret les
manifestations de cet imaginaire de l’avoir,espace binaire à deux dimensions, deux points zéro,
quand on n’utilise que le zéro et le un, l’èrenumérique ne numérise que jusqu’à un qu’elle appelle
deux un point zéro, y’a de quoi ironiser mais il y a aussi
de quoienvisager un autre ordre des choses, suivant le fil de
la logique métaphysique, envisagerle trois point zéro parlant la langue de la profondeur,
non,la fonction du langage n’est en rien utilitaire, bonjour
quel temps désastreux les élections bah que des incapables
ça va finir par péter mon mari s’est fait licencier je sais
pas comment on va s’en sortirnotre impératif c’est simple c’est
faire du chiffre faire de la marge offrir les meilleurs
prix à nos clients.
Voix sur voix, révolte sur le cri, Gwen Garnier-Duguy rejoint ici ceux qui se sont levés pour dire, dévoiler, guider leurs semblables. La syntaxe savamment orchestrée, il utilise la disposition permise par le verset pour placer des groupes nominaux ou des verbes en exergue, et mettre l’accent sur une parole sage et révoltée. La démence de nos sociétés est restituée sans concession aucune, et loin de fermer la porte sur une parole négative, le poète nous ouvre la voie vers un univers fraternel et spirituel. L’issue est là, dans cette ré-union de l’humain et de sa dimension cosmique, dans cette ouverture du langage sur sa dimension sacrée.
Actualisée par une syntaxe rythmant les versets et un vocabulaire qui convoque tous les niveaux du langage, cette forme sacrée replace la parole spirituelle à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter : au service d’une lecture du présent. La compréhension permise par la restitution de toutes les dimensions du réel doit mener à une prise de conscience.
Avancer dans cette prière que représente toute parole énoncée, dés lors que la vérité préside, pour construire un avenir habité par l’Humain. Il nous faudra cette volonté de parvenir à n’être plus que souffle, celui de l’intérieur du poème, contenu dans ce mystère qui émerge des lettres, de l’énergie des rythmes et des sons, dans une immanence dévoilée par la parole. S’abandonner, comme le poète nous en montre la voie, et ouvrir notre cœur, pour accéder enfin à une autre dimension de la conscience pleine et entière. Nous pourrons alors enfin aborder des enjeux et des défis qu’il nous faudra relever pour construire un monde de paix où la fraternité présidera aux destinées.
Nous avons les mots sur les os et les vents venus de la
mer font s’envoler de nos corps les images miraculeusespourvu que nous pensions qu’elles sont miraculeuses
alorselles visiteront les quelques forêts qui demeurent,
visiterontles forêts enfouies dans l’ombre de notre monde
intérieur, déposeront leurs mânes sous forme de
promesse à travers les travées de nos mégalopoles et le
ventde notre propre respiration entretiendra le feu qui
sauveet la prière
par quoi toute poésie advient.
Voici dévoilée toute la dimension sacrée de la poésie. Elle est une prière car elle révèle toutes les dimensions du réel et ouvre vers des universaux communs aux hommes de tous horizons, Unifiante et transcendante, elle sera cette parole sacrée, comme l’est toute parole partagée. Elle mènera à cet ultime savoir : nous ne formons qu’un, nous sommes frères, bien avant Babel, et après. Il suffit de se souvenir. Et le poème est ceci d’avant le langage, ce territoire commun. Il est dans les vers de Gwen Garnier-Duguy comme l’essence même de ceci, de l’humanité révélée par le rythme et les sons de ces textes en prose éminemment poétiques. Un talisman, un grimoire pour un avenir enfin au visage de ce que peut être la fraternité, tel est Alphabétique d’aujourd’hui. puissante poésie, comme l’est la prière.
Les champs sémantiques marquent clairement cette juxtaposition d’un monde moderne déshumanisé et d’une dimension commune et fraternelle, qu’il s’agit de retrouver. Dualité que l’on retrouve également dans les textes qui évoquent le pouvoir de la parole, et la possible communauté retrouvée au coeur du poème. Voie ouverte sur un avenir pour la littérature aussi, qui balbutie, qui se cherche, en ce début de siècle si difficile pour nos frères. La mission du poète, de la poésie, de la littérature, il en est enfin question dans Alphabétique d’aujourd’hui… Le siècle 21 sera poétique, et grande est l’envie d’ajouter « ou ne sera pas »… Malraux avait raison, à un siècle près. Nous, poètes, devrons prendre la parole, et la restituer à sa dimension spirituelle. Il nous faudra lui redonner son pouvoir. Il nous faudra créer un lieu de rassemblement dans la parole. Il n’est plus l’heure du poète mage et porteur d’une parole divine, il n’est plus le temps du poète maudit, ni de celui qui ouvrira des portes là où tout territoire a été découvert, ni de celui qui donnera au miracle du vers un visage de Dieu. Temps est venu de tisser l’union des peuples et des cœurs, dans le rythme poétique, dans la trame du texte. L’Art ne devra avoir qu’un objectif, unir le sacré au tangible, et révéler l’univers enclos dans toute chose, dans chacun de nous. C’est ceci, Alphabétique d’aujourd’hui. Une prière offerte au monde pour dépasser tous les clivages et édifier un avenir commun dans la paix. Voici, le poète n’est ni ici, ni là, ni mage ni maudit, mais un parmi le nombre, et le nombre dans la poésie qu’il révèle, un.
Alors les lettres, les mots, le poème, le son du poème et le souffle dedans, tissent une toile multidimensionnelle qui trace un chemin, celui d’une fraternité à retrouver. Toi, moi et nous, trinité à incarner dans le verbe, unique direction pour amorcer le recommencement de nos histoires. Celle du toi et moi, et celle du nous, cette Histoire “avec sa grande hache” qui fut pour Perec comme pour des milliers de semblables une épreuve hors d’imagination… Et qui, encore, continue de trancher, broyer et achever toute trace d’une possible communauté humaine établie sur les fondements de la paix. Il faut vivre le poème, celui de Gwen Garnier-Duguy, pour commencer, éclaireur et voix unique d’une poésie fédératrice.
“La poésie appartient au Poème”, et le Poème à l’avenir, et l’avenir à l’humanité retrouvée.
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