Hans Faverey

Par |2020-01-06T04:50:08+01:00 5 janvier 2020|Catégories : Essais & Chroniques, Hans Faverey|

Hans Faverey (1933–1990), presque incon­nu dans la sphère fran­coph­o­ne, est, selon moi, un des tout grands poètes du 20è siè­cle — qui serait peut-être un des tout grands siè­cles de la poésie : une poésie alors de plus en plus refoulée par la cul­ture dom­i­nante, mais qui, en rai­son de ce refoule­ment, sut explor­er les pal­pi­ta­tions énig­ma­tiques et cepen­dant intimes de l’inconscient.

“Le réel, c’est quand ça cogne”, dis­ait, parait-il Jacques Lacan. Citons une géante : Emi­ly Dick­in­son et un géant Zbig­niew Her­bert (mais, je pour­rais citer aus­si Ale­jan­dra Pizarnik ou Janos Pilin­s­ki, et d’autres encore). Ces géants cog­nent : pas par vin­dicte ou ressen­ti­ment, mais parce que le réel impos­si­ble cogne en eux. Cela les rend névrosés, frag­iles, minus­cules, mais ce sont des géants parce qu’ils dis­ent ce qui ne se dit pas. Ils mur­murent les cail­loux du dedans.

Il y a déjà de nom­breuses années, Pierre-Yves Soucy avait attiré mon atten­tion sur Faverey, qui était très peu traduit en français. Qui s’in­téresserait, en France, à un poète amstel­lodamois, né au Suri­nam ? Il s’agit néan­moins de ren­dre jus­tice à François Ran­nou, et à sa revue La riv­ière échap­pée, qui don­na, en son temps, des tra­duc­tions de Faverey dues à son ami Du Bouchet.

Voici donc qu’un édi­teur brux­el­lois ose enfin une tra­duc­tion des Poésies pub­liées par Faverey. C’est un fort vol­ume, mag­nifique­ment édité, et dont la pré­face (c’est un exploit) éclaire intel­ligem­ment et briève­ment l’œuvre entière.

 

Hans FAVEREY, POESIES, traduit du néer­landais (Pays-Bas) par Kim Adringa, Erik Lind­ner (qui signe aus­si la pré­face) et Éric Suchère. Brux­elles, Vies Par­al­lèles, 2019. 672 pages Ren­seigne­ments : librairie Ptyx (www.librairie-ptyx.be)

Je vais m’y plonger un peu chaque matin. Cela pren­dra du temps. On lit lente­ment ces poèmes ; on y revient sans cesse ; on sur­nage dans un remue­ment dont la struc­ture jail­lit soudain.

Il n’est pas anodin, pour les recevoir (car on n’en fini­ra jamais de les “com­pren­dre”), de savoir que Faverey était un solide clavecin­iste ama­teur, et psy­cho­logue de pro­fes­sion. Tout ici est en effet com­posé par bribes et frag­ments. Frag­ments d’in­con­scient qui mor­dent la con­science, com­po­si­tion qua­si musi­cale de ces frag­ments… On lit bien Faverey, mais c’est nous qui faisons le livre, et qui le refer­ons sans cesse, à chaque lec­ture. Voilà peut-être la leçon de la poésie la plus haute.

∗∗∗∗∗∗

 

À NINGAL1

Le sang est-il ignominie ;
ou les hiboux sont-ils vrai­ment feignants.

Sans honte le soleil se lève,
la lune pâlit ; le soleil se
couche – et la voilà : Ningal.

Un seul mot qui s’expectore

et en la mort aus­si se transmeurt,

transper­cé par des yeux si ronds.
Com­ment saurais-je com­ment ça vient. Que
sais-je de ce qui est. Son sang
est rouge ; son nom se perpétue.

 

*

Hans Faverey lit De Schild­pad, 2000.

 

 

Ce qui lui res­ta du vent d’ouest.
Com­ment elle recueille ce qui l’a
Rat­trapée. À l’aide

de son miroir elle casse
un car­reau. En l’oubliant
je ne décou­vre rien d’autre.

Je frappe deux silex ensemble :
ça heurte. Une fois arrivé dans la rue
je m’arrête . M’aime-t-elle ?

 

*

 

La façon dont le est se néantifie
m’échappe complètement.

Le ciel si clair et tout aus­si noir,

a jeté l’ancre dans sa mer ;
itère une chose qui est restée
encore échap­pée. Le vide à cheval :
la limace sur le rasoir.

Un à un je m’annule, et je deviens
ce qui de moi prend pos­ses­sion : m’appelle,
et par moi fut appelé.

 

*

 

En remon­tant le long du fleuve.
de nom­breux saules, de nom­breuses pier­res ; bruissement
des rapi­des. Et des roseaux,
qui dans la langue locale
son­nent comme ils sont : roseaux
par brise légère.

Une vieille femme chan­tant tout haut :

pour elle-même, au milieu
de ce qui environne.

Un bref salut, un tou­s­sote­ment. Puis
le chant reprend, plus fort
main­tenant, sem­ble-t-il. Un peu plus loin seulement
je les vois : ses deux vaches,
au bord de l’eau.

 

*

 

Hans Faverey.

Note

1. Les poèmes de Faverey se répon­dent au sein de séries plus ou moins longues. Il est donc malaisé de les isoler…

Présentation de l’auteur

Hans Faverey

Hans Faverey, né le 14 sep­tem­bre 1933 à Para­mari­bo et mort le 8 juil­let 1990 à Ams­ter­dam, est un poète néerlandais.

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Lucien Noullez

Lucien Noullez est né à Brux­elles en 1957. Il a enseigné dans cette ville pen­dant quar­ante ans. Il a écrit une ving­taine de livres de poèmes, qui sont sou­vent d’inspiration musi­cale ou biblique, un réc­it, des cen­taines d’articles de cri­tique lit­téraire… Il a aus­si pub­lié trois tomes d’un Jour­nal, et quelques réflex­ions sur la musique de l’histoire. Il a reçu cer­tains prix lit­téraires, et il en a loupé bien d’autres ! Ses prin­ci­paux livres étaient jadis pub­liés à L’Âge d’homme. Un nou­veau recueil de poèmes sor­ti­ra au print­emps, aux Édi­tions Corlevour.

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