Hans Faverey
Hans Faverey (1933-1990), presque inconnu dans la sphère francophone, est, selon moi, un des tout grands poètes du 20è siècle - qui serait peut-être un des tout grands siècles de la poésie : une poésie alors de plus en plus refoulée par la culture dominante, mais qui, en raison de ce refoulement, sut explorer les palpitations énigmatiques et cependant intimes de l'inconscient.
"Le réel, c'est quand ça cogne", disait, parait-il Jacques Lacan. Citons une géante : Emily Dickinson et un géant Zbigniew Herbert (mais, je pourrais citer aussi Alejandra Pizarnik ou Janos Pilinski, et d'autres encore). Ces géants cognent : pas par vindicte ou ressentiment, mais parce que le réel impossible cogne en eux. Cela les rend névrosés, fragiles, minuscules, mais ce sont des géants parce qu'ils disent ce qui ne se dit pas. Ils murmurent les cailloux du dedans.
Il y a déjà de nombreuses années, Pierre-Yves Soucy avait attiré mon attention sur Faverey, qui était très peu traduit en français. Qui s'intéresserait, en France, à un poète amstellodamois, né au Surinam ? Il s’agit néanmoins de rendre justice à François Rannou, et à sa revue La rivière échappée, qui donna, en son temps, des traductions de Faverey dues à son ami Du Bouchet.
Voici donc qu’un éditeur bruxellois ose enfin une traduction des Poésies publiées par Faverey. C’est un fort volume, magnifiquement édité, et dont la préface (c’est un exploit) éclaire intelligemment et brièvement l’œuvre entière.
Hans FAVEREY, POESIES, traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Kim Adringa, Erik Lindner (qui signe aussi la préface) et Éric Suchère. Bruxelles, Vies Parallèles, 2019. 672 pages Renseignements : librairie Ptyx (www.librairie-ptyx.be)
Je vais m'y plonger un peu chaque matin. Cela prendra du temps. On lit lentement ces poèmes ; on y revient sans cesse ; on surnage dans un remuement dont la structure jaillit soudain.
Il n'est pas anodin, pour les recevoir (car on n'en finira jamais de les "comprendre"), de savoir que Faverey était un solide claveciniste amateur, et psychologue de profession. Tout ici est en effet composé par bribes et fragments. Fragments d'inconscient qui mordent la conscience, composition quasi musicale de ces fragments… On lit bien Faverey, mais c'est nous qui faisons le livre, et qui le referons sans cesse, à chaque lecture. Voilà peut-être la leçon de la poésie la plus haute.
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À NINGAL1
Le sang est-il ignominie ;
ou les hiboux sont-ils vraiment feignants.
Sans honte le soleil se lève,
la lune pâlit ; le soleil se
couche – et la voilà : Ningal.
Un seul mot qui s’expectore
et en la mort aussi se transmeurt,
transpercé par des yeux si ronds.
Comment saurais-je comment ça vient. Que
sais-je de ce qui est. Son sang
est rouge ; son nom se perpétue.
*
Hans Faverey lit De Schildpad, 2000.
Ce qui lui resta du vent d’ouest.
Comment elle recueille ce qui l’a
Rattrapée. À l’aide
de son miroir elle casse
un carreau. En l’oubliant
je ne découvre rien d’autre.
Je frappe deux silex ensemble :
ça heurte. Une fois arrivé dans la rue
je m’arrête . M’aime-t-elle ?
*
La façon dont le est se néantifie
m’échappe complètement.
Le ciel si clair et tout aussi noir,
a jeté l’ancre dans sa mer ;
itère une chose qui est restée
encore échappée. Le vide à cheval :
la limace sur le rasoir.
Un à un je m’annule, et je deviens
ce qui de moi prend possession : m’appelle,
et par moi fut appelé.
*
En remontant le long du fleuve.
de nombreux saules, de nombreuses pierres ; bruissement
des rapides. Et des roseaux,
qui dans la langue locale
sonnent comme ils sont : roseaux
par brise légère.
Une vieille femme chantant tout haut :
pour elle-même, au milieu
de ce qui environne.
Un bref salut, un toussotement. Puis
le chant reprend, plus fort
maintenant, semble-t-il. Un peu plus loin seulement
je les vois : ses deux vaches,
au bord de l’eau.
*
Hans Faverey.
Note
1. Les poèmes de Faverey se répondent au sein de séries plus ou moins longues. Il est donc malaisé de les isoler…