Telle une variation occidentale du Grand Almanach Poétique Japonais, Quadrature de l’éphémère déploie ses concertos des Quatre Saisons comme la musique secrète d’un rapport au monde à saisir cette magie de « l’éphémère ».
C’est l’air du temps, au fil de ses rythmes naturels, printemps, été, automne, hiver, qui traverse la poésie d’Hélène Dassavray et les encres de Zaü. Dans une technique d’écriture condensée à l’essentiel, proche de l’art oriental, dont Corinne Atlan et Zéno Bianu, dans la préface de leur Anthologie du poème court japonais, décrivent comment quelques vers ciselés donnent à ressentir « le sublime au ras de l’expérience », Hélène Dassavray choisit ses tournures allusives dont certaines peuvent se lire comme de véritables poèmes traditionnels dans l’acuité du regard porté sur l’épiphanie d’un présent en suspens, volé par les cinq sens de l’expérience esthétique : « La quadrature de l’éphémère / ce que l’on sait de la beauté / un simple champ de coquelicots »
Hélène Dassavray et Zaü, Quadrature
de l’éphémère, éditions La Boucherie
Littéraire, 84 pages, 14 euros.
Sur une vision de l’inattendu à la lueur du matin, s’augure le printemps : « À cause du matin / des conséquences de l’aube / de l’air chafouin de l’air / parce qu’au début du jour / rien ne ressemble à rien ». Suite à cette strophe de l’intrigue, se déclinent les jours, les semaines, les mois qui passent, de mars à juin : « Le printemps frémit / de branche en branche / le fruit d’un frôlement / le frisson d’une promesse / les frontières bouleversées / son souffle coiffe les échevelés ». Période de l’éveil, ode aux désirs ravivés, et un parti pris, celui de fêter, de célébrer la vie et d’y prendre part, quand se goûtent les moments de camaraderie parmi les cerisiers en fleurs, où le rouge est de saison, « sanguin », « vermillon », « carmin », « des fraises de la passion / on passe au rubicond », et s’invitent les premières ondées, annonciatrices de l’âge solaire…
« Puis c’est le jour de l’été et de l’être / la fin des coquelicots », à l’affût de ce trois fois rien dans la chaleur de l’acmé, de juin à septembre : « J’ai besoin de ce temps / à regarder / rien / En compagnie de la lune / ou du vent / du chemin / Être seulement dehors / dans les odeurs de menthe / la mire du papillon / à regarder / rien / et ce qui s’ensuit ». Dans la moiteur du temps, être aux aguets de l’insaisissable que le fredonnement des cigales ponctue, laisser venir les heures des compagnonnages joyeux : « nos tablées sous les pins / les tilleuls, les platanes », goûter la senteur du moment ou la seconde de grâce, en prélude aux récoltes vigneronnes : « Les saveurs du raisin / aux fêtes des vendanges / et la saison qui change »…
De septembre à décembre, s’impose alors l’automne avec ses couleurs chatoyantes : « En silence / les verts virent au jaune / les jaunes s’orangent / les ocres, les pourpres, les grenats / s’opposent à l’azur / bleu d’une seule pièce / enchanté ». Avec la vigueur du froid, s’allument les premiers feux, les feuilles mortes dansent soudain la chorégraphie du vent, saison mélancolique d’où s’élève, tournoyant dans l’air, la complainte des amants : « La nuit et le vent / s’enlacent et s’emballent / la nuit et le vent / comme deux amants ». Déjà, la pointe du jour annonce la vigueur de la dernière des quatre saisons : « Potron-minet / aube dorée / à l’orée / de l’hiver »…
C’est alors, de décembre à mars, la valse des flocons désormais : « Des flocons de glace / frappent aux fenêtres / irisés par l’instant / et le soleil d’hiver ». Le solstice se goûte tel un bon cru : « clore les volets / nourrir le feu / à la chaleur blottis / partager la tablée / traverser le solstice / au vin de l’année ». Le givre recouvre peu à peu la terre, tandis que le vent se fait souffle froid vigoureux et que soudain, dans le lointain, l’orage éclate, détonation avant le dépassement du temps figé dans une mort de glace à travers l’éclosion d’un chant de retour à la vie : « Sur les dernières notes / de la dépouille / l’amandier en fleurs / avance le tempo / de la nouvelle chanson »…
Vers cette fin de cycle des saisons peuvent revenir les mêmes impressions de lecture que celles laissées par la technique des plus grands haïkistes à la fréquentation desquels Corinne Atlan et Zéno Bianu nous invitent à l’initiale de leur anthologie : « Lisons. Écoutons cette façon inimitable de faire sourdre l’invisible. Comme une perception accéléréede l’instant. Comme si la nature, tout soudain, prenait la parole à la place de l’homme, telle une extension de lui-même et de ses émotions. » Dans cet art particulier des détails, par la quintessence de son écriture, Hélène Dassavray aura su restituer le mouvement de cette nature que les encres de Zaü par la délicatesse de leur traits et la beauté de leur palette ne peuvent que magnifier, expérience du sublime dans le joyau d’un langage partagé !
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