Hélène Révay, Bien loin du reste

Par |2020-10-21T08:58:32+02:00 19 octobre 2020|Catégories : Hélène Révay|

Donc, qui pour­rait me dire où j’en suis exacte­ment et à quel niveau ? 

Plus qu’un mono­logue, Bien loin du reste d’Hélène Révay est peut-être aus­si un solil­oque. Le lecteur ne sait jamais à qui s’adresse le nar­ra­teur si tant est qu’il s’adresse à quelqu’un. Et s’il était seule­ment « tra­ver­sé » par le texte dont on ignore l’origine et le com­mence­ment ? Mais qui, alors, en serait l’auteur ?

Dans un mou­ve­ment per­pétuel entre présence et efface­ment, intérieur et extérieur, volon­té et renon­ce­ment, il ne nomme rien de l’espace à ses entours. Il par­le d’un trou qui se trou­ve « là-bas », qual­i­fié [de débar­ras, de fond de poche ou encore de puits]. Ce lieu improb­a­ble pour­rait faire penser au cylin­dre de Beck­ett dans son roman Le dépe­u­pleur.

De même, aucun trait organique, humain ou végé­tal, aucun élé­ment matériel n’apparaît dans ce temps sans dis­tance ni durée. Le lecteur com­prend qu’il n’entre pas dans une his­toire, d’autant qu’entrer et sor­tir peu­vent se con­fon­dre et que le nar­ra­teur se déclare absent de toute histoire.

Hélène Révay, Bien loin du reste, Les édi­tions SANS ESCALE, Décem­bre 2019, 30 pages, 13 €.

En fait, on n’entrevoit ici que deux cer­ti­tudes, lais­sées inten­tion­nelle­ment dans le flou. Le nar­ra­teur [quitte d’une façon assez rad­i­cale ce qu’il appelle le reste] et se dirige vers le mys­tère majus­cule de « L’Infranchissable ».

Mais quel est donc le des­sein voilé ou dévoilé dans ses pen­sées qu’Hélène Révay appelle des « fumi­ga­tions » ? Notre homme aurait-il à trou­ver le souf­fle vital qui lui a tou­jours man­qué ? En tout cas, il tra­vaille d’arrache-pied à sa math­é­ma­tique sans objet. Il ne s’agit ni de gag­n­er ni de per­dre quoi que ce soit. Seule compte la besogne laborieuse­ment bidouil­lée. Afin, [surtout, de rester dans la place].

Et c’est une lutte acharnée con­tre soi-même s’il existe un soi-même, con­tre un autrui s’il existe un autrui… aux atti­tudes opaques voire malveillantes.

Le lecteur sera séduit par la matu­rité du style gigogne de cet ensem­ble bref mais long à lire. Il pour­ra imag­in­er dans cette rhé­torique de l’indéfini un autre nar­ra­teur dans lequel il se recon­naî­tra s’il en a le désir. A moins que le miroir de l’altérité ne l’emporte dans son trou­ble. Le tuilage du pour et du con­tre avec ses marges d’incertitude, qui exprime l’universalité du tra­vail de vivre, ne lui offrira aucun lieu sûr pour désign­er ce qui existe. L’humain ordi­naire, sans qual­ités par­ti­c­ulières, ne tient que par les habi­tudes. Aucun futur ne ver­ra le jour puisque le passé et le présent sont indis­tincts. Aucune his­toire ne s’écrira dans le retrait absolu où l’être s’amenuise sans s’en apercevoir. Moitié éveil­lé moitié endor­mi, dans une con­ti­nu­ité mar­quée çà et là de [petites irrégu­lar­ités réjouis­santes], en atten­dant qui sait une ren­con­tre, tout autant indéter­minée. Mais le reste sera-t-il pour autant quitté ?

 

Extraits :

Pass­er son temps, voilà ce qui se dit au final. Au final, j’ai passé mon temps à ressass­er sur l’ordre de l’univers. J’ai passé toutes mes nuits à gam­berg­er sur ça. Je n’ai pas la force néces­saire pour faire fi de tout ça, pour m’ouvrir tout entier et imag­in­er qu’un véri­ta­ble monde existe, un monde réel où tout s’organiserait selon une seule volonté. 

Mille ans me sépar­ent de moi-même. Quand je dis moi-même, je pense à celui qui veille, écoute, celui qui ne juge en aucun cas. Je pense aus­si à celui qui soupèse, qui traduit chaque moin­dre petite par­celle d’émotion qui le sub­merge, l’efface ou le mar­que au fer rouge, par­celle qui peut tout aus­si bien l’affaiblir comme le renforcer.

Tout ce qui est pri­mor­dial de nos jours est à présent sec­ondaire et vice-ver­sa. J’ai beau être quelqu’un de nor­mal, dans le sens où je ne fais, ne pense ni ne dis rien d’extraordinaire, en général. Mais je ne me ressens pas, et au fond, comme tel. 

Présentation de l’auteur

Hélène Révay

Hélène Révay est née à Paris en 1987.

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Dominique Boudou

Je suis né à Paris en 1955 et vis à Bor­deaux depuis un demi-siè­cle où je me laisse cul­tiv­er par mon jardin. J’ai survécu au méti­er d’instituteur grâce à de nom­breux chemins de tra­verse. Ceux de la lit­téra­ture m’ont con­duit à écrire quelques livres. Des romans (2) et des recueils de poésie (7). Par­mi mes dernières paru­tions : Poète de la face nord aux édi­tions Recours au Poème, Dans la durée des oiseaux aux édi­tions du Cygne et Vos voix sur mon chemin avec des images de Vir­ginie Van­der­notte chez Dou­ble Vue édi­teur dans la col­lec­tion Voleur de feu. Les toutes nou­velles édi­tions Aux cail­loux des chemins pub­lieront mon texte Choses revues dans Bor­deaux et ailleurs à la fin de l’année en cours.

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