J’ai rencontré pour la première fois Jean-Pierre Metge au tout début des années 90, à l’occasion d’une réunion de l’association Escalasud (Colloque des poètes du Sud), fondée par Michel Cosem en 1989. Ce mouvement poétique était aussi une forge d’idées. Il s’agissait de rassembler les poètes du Sud, de langue française et occitane, mais aussi des artistes et des intellectuels, à travers toute l’aire occitane, de l’Atlantique à la Méditerranée, afin de mettre en évidence un foyer de civilisation animé de problématiques et d’énergies souvent marginalisées dans l’ensemble français.
Dans ce contexte, Jean-Pierre Metge se révéla comme un militant et un ardent organisateur. Il se chargea de rédiger le bulletin de l’association, sous forme manuscrite, dans un format A 3 photocopié. Il rédigea 206 numéros de 1990 à 1994. Il y collectait l’activité poétique des différents auteurs, lançait des passerelles entre les livres et l’actualité culturelle, annonçait les manifestations à venir. Il était aussi un militant de la cause occitane proprement dite.
Par la suite, il créera les éditions « A chemise ouverte », puis deviendra membre fondateur d’une association basée à Toulouse : « Le Passe-Mots ». En 2000, il réalisera le « Panorama 2001 », une série de fascicules présentant 27 poètes du Midi Toulousain.
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Or ce portrait d’un homme d’action se nuance de mélancolie à la lecture de ses poèmes.
Lorsqu’il a rencontré les poètes d’Escalasud, Jean-Piere Metge souffrait profondément de la solitude. A partir d’ « Etincelles vertes »(1988), et dans le cours d’une dizaine d’années, il a publié huit recueils dont les titres disent assez le découragement, voire le désespoir.
La marque la plus évidente de cette poésie est le sentiment du manque et de l’absence :
« Mes ruisseaux ne naissaient
que par intermittence »
(Etincelles vertes).
Le contemplatif, durant son séjour en Quercy (son père était militaire dans une base installée près de Gramat), s’est conforté au temps mythique des campagnes
« Les faux jadis affûtées
aux inusables obsidiennes »
(On ne grimpe plus aux silences).
Mais la maladie s’insinue, limite le rayon d’action du poète, l’empêche de parcourir ce Causse qu’il rejoint parfois depuis Toulouse, ce Causse de Gramat où il a passé le plus clair de sa jeunesse.
Désormais l’hôpital lui fixe de cruels rendez-vous :
« L’aube passe sa serpillière grise
sur les derniers feux de la nuit
et ce transfert d’humidités sales
du sol au cloaque des cieux
m’apaise
et m’écoeure à la fois ».
(Horizons du néant, 1992)
Mais c’est son anthologie posthume : « nos seuls soleils sont des lichens », composée par les soins de ses amis, et éditée par l’Arrière-Pays(2003) qui libère le mieux la parole vive de Jean-Pierre Metge. Jusqu’au bout, il sera ce
« promeneur perdu
dans ses années d’enfance ».
Le Quercy, avec son silence et ses murets écroulés, était une image inépuisable de sa propre existence, passion et nostalgie mêlées, le long des
« passerelles d’acier/ des week-ends gris ».
Une vive sensualité et une grande délicatesse de sentiments entourent l’image de la femme :
« Son corps avait pris feu aux herbes de décembre »
….….….
ce fut
comme un bonheur volé à ses lèvres
douces roses obstinées d’un jardin à l’oubli ».
Mais l’espace et le temps sont si grands qu’ils échappent au poète :
« Automnes je n’ai plus où aller hors saison
je n’ai plus où m’asseoir dans l’enfance ».
….….….….….….…
« mes horizons sont limités
aux silences de la mésange ».
Il reste cependant des impressions fortes nées des pierres et des arbres du Causse :
« …et les brebis passaient
sous les érables nains
laissant aux prunelliers
un peu de leur suint
comme un tribut au vent payé pour la saison ».
Jean-Pierre Metge a atteint le but de tout poète authentique : conquérir une voix, une tonalité, immédiatement reconnaissables.
Il restera pour nous ce passant du Causse, émerveillé de nostalgie cruelle, altéré à l’extrême de senteurs, d’aubes et de couchants, non sans avoir recueilli les derniers gestes des pâtres et des artisans, ceux qui gravaient dans le marbre de leur quotidien le sens d’une tradition.
Sur le fond de la fresque vive qu’il nous lègue, sachons le suivre dans sa sombre quête :
« moi/ voleur de chrysanthèmes/ aux sources du néant », mais attardons-nous aussi et surtout sur ses touches de bonheur et de vie :
« rien n’effacera les roux coquelicots de ses cheveux ».
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