Brice Bonfanti, Homme foyer

 

I

 

Je suis l’Homme au Foyer.
J’entretiens le Foyer     et son Feu, le Foyer de son Feu, Feu du Feu.

Je suis l’Homme Foyer, Foyer fait chair, fait Homme, Âme en Feu qui fait foi par sa chair.

En Moi, tout converge, tout converge vers Moi, tout converge au Foyer, tout finit par y tendre, trouver son Toit, si tendre – après l’errance, les accidents, les divergences.

En Moi, tout revient, tout revient sous mon Toit, où tout commence et tout finit, Je suis l’Homme Foyer infini, suis l’Humain quand il rentre au Foyer, le Foyer de tout homme, de toute femme, de l’infini de chaque femme et de chaque homme,
Je suis l’Humain premier, où chacun naît tout ce qu’il est, où naît tout ce qui est, puis hors de Moi     devient ce qu’il n’est pas, et puis revient : redevenir     tout ce qu’il est, tout ce qui est.

Je ne fus pas, je ne suis pas ni ne serai, jamais, de ce monde, mais du milieu du monde :
Je suis Fidèle.

Je suis Fidèle à l’infini     du monde, au milieu infini de ce monde, ce monde     qui peut être Fidèle mais mal, malaisément, exceptionnellement.

Je le sais, mais je dois le nourrir le Foyer, et Je dois et Je veux : alimenter le Feu.

Fidèle à la Fidélité, bien soumis à sa Loi nécessaire de vie qui libère, à la Loi du Foyer que Je suis, Loi bâtie par une histoire intemporelle, que J’ai bâtie, qui m’a bâti,
J’hérite.

Je suis l’héritier de ma Loi, et héritier de ma Fidélité, héritier du Foyer que Je suis, Je dois et Je veux : alimenter le Feu, mon Feu, le Feu donné
à tout ce que J’aime.

 

II

Mais tout ce que J’aime
ressent un appel dans le monde au dehors, sort là hors, inéluctablement, et nécessairement.

Autour de Moi, ou hors de Moi, tout vit et meurt – en vain.
Moi Je demeure.

Et souffre
car tout ce que J’aime     sort là hors, vit et meurt hors de Moi.

Mais qui vient se chauffer au Foyer
aussi demeure
avec Moi.

Je ne suis pas en paix, jamais, car tout ce que J’aime     sort là hors.
Je ne suis pas en paix : Je suis la paix.

Et parfois me parviennent     de tout ce que J’aime : des mots, des lucioles parmi le chaos     du monde d’appétits, du monde appétissant qui rapetisse.

 

III

Parfois, par la foi et le feu qui s’imposent à Moi,
Je dois fermer toutes les portes du Foyer, toujours ouvert :
les fermer au chaos des faux mots, qui font les beaux ;
les fermer aux tourments divertissants, petits ou grands, toujours petits vus du Foyer, et tout jour plus petits.

Et une fois fermées     les portes du Foyer, Je me souviens : d’où vient la radicalité à la racine qui m’habite.
Je ne suis pas en paix, Je suis la paix, le papillon, qui aperçoit et qui devine là au loin : la brûlure des flammes du Vrai.
Et la brûlure, ultime, m’intime à la distance vis-à-vis de cette absence     de tout ce que j’aime – qui vit là et meurt là au dehors –, cette absence passée, présente, à venir
– pas finale :

La présence est la seule finale.

Et ainsi entre en Moi : le lien – entre Moi     et tout ce que J’aime :
Je Nous sais
et Nous espère Nous.

Et une fois fermées     les portes du Foyer, J’en reviens à Moi-même.
Et dans ma solitude, et dans sa solitude, dans celle-ci de celle-là, Je recherche la lumière du silence
que J’essaye de faire parler : Je lui donne mes mots à manger, Je lui donne nos mots à manger, pour voir ce qu’il me rend.

Les mots mâchés et digérés par le silence
sont un miracle
libéré des commerces, des communications, des opinions,
et proche enfin de la Parole du Foyer.

C’est la Parole du silence.

 

IV

Et Je suis fier
de tout ce que J’aime, qui vit là et meurt là hors de Moi, mais qui porte en son coeur au dehors le Foyer,
qui reviendra, inéluctablement, et nécessairement, renaître auprès de Moi.

Et Je suis fier de sa Promesse – qui est tenue, chaque jour, sera tenue, chaque futur, bien malgré ses détresses.

Car si tout ce que J’aime     sort hors du Foyer – pour le moment –,
tout ce que J’aime,     finalement comme au commencement, 
vient du Foyer
que Je ne suis pas seul à être et à nourrir,
que Je ne suis pas seul à être, mais que Nous sommes Nous, Moi et tout ce que J’aime, à l’origine, à l’avenir :

Le Foyer vient de Nous.

Mais si Nous se défait – pour un moment –
dès que tout ce que J’aime sort hors du Foyer,
si Nous se défait,
c’est Moi seul qui maintient le Foyer, alimente le Feu.

Mais quand Je sortirai, à mon tour, du Foyer,
c’est tout ce que J’aime
qui sera le Foyer
maintenant     seul le Feu
qui sera tout     ce que J’aime au Foyer
           qui sera tout     Foyer.

Présentation de l’auteur

Brice Bonfanti

​Brice Bonfanti, œuvrier. Né Frigau en 1978, Avignon. Sept ans conservateur des manuscrits de Stendhal à Grenoble. Depuis l’an 2000 à Milan, écrit en premier lieu l’un après l’autre des Chants d’utopie, et les dit en public. Un chapitre par Chant est audible sur son site : www.bricebonfanti.com. Les Chants d’utopie sont publiés aux éditions Sens & Tonka, par cycles de neuf Chants.

Collabore aux revues Nunc, Phoenix, L’Intranquille, Sarrazine, Recours au poème, La Revue des Archers... 

 

 

Textes

Brice Bonfanti

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