HORS LIGNE : HÖLDERLIN

Par |2025-03-06T06:55:23+01:00 6 mars 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Friedrich Hölderlin|

Dans un monde sans dieu, chaque État, à tra­vers ses élites poli­tique, économique, cul­turelle, fab­rique, pour les mass­es, ses mythes poé­tiques, de Friedrich Hölder­lin à Arthur Rim­baud. Ces esprits, à la fois braves, vifs, frag­iles, devi­en­nent des objets de culte. Dans les chapelles d’intellectuels, ses poèmes que ce soient des odes, des hymnes, des élé­gies, font l’objet de fan­tasme qui fait couler de l’encre jusqu’à Mar­tin Heidegger. 

Le délire d’interprétation autour de Friedrich Hölder­lin se répand jusqu’en France, car le poète à l’accent étrange demeure un ami fidèle de Bor­deaux et de la Garonne. Dans le droit fil d’Émile Nel­li­gan au Cana­da ou John Clare en Angleterre, il devient ce mar­tyr de l’individualisme que l’on coiffe d’un éclair de folie.

Friedrich Hölder­lin s’inscrit dans la tra­di­tion de poètes alle­mands, fils de pas­teur, son père Hein­rich Hölder­lin : Andreas Gryphius, Friedrich Niet­zsche, Got­tfried Benn. Né en 1770, comme Lud­wig van Beethoven ou Friedrich Hegel, Johann Chris­t­ian Friedrich Hölder­lin prendrait forme dans une toile roman­tique, peint par une généra­tion d’artistes, Cas­par David Friedrich, William Turn­er, John Con­sta­ble qui voient le jour en 1770. Dans le brouil­lon de la Prusse, le poète souabe porte le prénom du futur roi, Frédéric-Guil­laume III, lui aus­si né en 1770. La poésie alle­mande porte en son long fleuve tran­quille quelques illus­tres voix qui répon­dent au prénom de Friedrich : Friedrich Got­tlieb Klop­stock, Friedrich Schiller, Friedrich Rück­ert. En toile de fond, son frère de lait roman­tique, dans le nord de l’Angleterre, dans le comté de Cum­bria, est William Wordsworth qui naît le 7 avril 1770. Face au raz-de-marée de la révo­lu­tion française, cette généra­tion des années soix­ante-dix a l’âge de la révolte.

Friedrich Hölder­lin, Œuvre poé­tique com­plète (tra­duc­tion de François Gar­rigue), Les Belles Let­tres, 2024, 1024 pages, 69€.

Pour bâtir son roman nation­al, le roy­aume de Prusse iden­ti­fie quelques idol­es clas­siques : Johann Wolf­gang von Goethe, Friedrich Schiller et… Friedrich Hölder­lin. Le poète de Tübin­gen fait l’éloge de la géo­gra­phie alle­mande, ses mon­tagnes, les Alpes, ses fleuves, le Rhin, le Main, le Danube, ses villes, Hei­del­berg, Stuttgart. Idole de la république, il est surtout un citoyen de la Grèce antique qui inspire le génie alle­mand. Cet héritage de l’Antiquité transparaît, à Berlin, jusque dans l’architecture clas­sique de Karl Friedrich Schinkel.

Le roy­aume, le pays, la patrie de Friedrich Hölder­lin, c’est la Grèce, ses archipels, ses pénin­sules, ses isthmes. Sa cul­ture clas­sique cor­re­spond au désir de l’Allemagne de raviv­er la flamme de l’Antiquité. On imag­ine Friedrich Hölder­lin, cet archéo­logue alle­mand, qui arrive à bon port dans le Pirée. Il est saisi d’aveuglement à Athènes face à l’Acropole, à Delphes face au mont Par­nasse, à Pat­mos face à la grotte de l’Apocalypse de Saint-Jean. Son coup de foudre pour la Grèce est tel qu’il adopte le mètre clas­sique des poètes de l’Antiquité, à l’instar de Friedrich Got­tlieb Klop­stock. Voyageur du temps, il emprunte le rythme des Anciens, faisant le grand écart dans un abîme de deux mille ans. L’aède de la Souabe s’approprie les mythes de la Grèce, ses dieux, d’Achille à Ganymède, et égale­ment Héro, Her­cule, Hypéri­on, ain­si que les Titans, ses divinités, les Par­ques, Mné­mosyne, Sybille, ses poètes, Empé­do­cle et Homère.

Armé de cette lyre de la poésie grecque, Friedrich Hölder­lin peut sculpter les fris­es, orner les fresques, couron­ner les fron­tons. Du haut de son mètre soix­ante-et-onze, Friedrich Hölder­lin traite les plus grands mythes de l’Europe, géologiques, les Alpes, le Rhin, la Garonne, géopoli­tique, Christophe Colomb, sci­en­tifique, Johannes Kepler, philosophique, Jean-Jacques Rousseau, religieux, Mar­tin Luther. Depuis les siè­cles des Lumières, le poète, human­iste et idéal­iste, définit les valeurs uni­verselles que sont la lib­erté, la vérité, la beauté, l’amitié, l’amour, ain­si que la reli­gion, à tra­vers l’immortalité et l’eucharistie.

Après ses tribu­la­tions poli­tiques et philosophiques dans la bonne société, Friedrich Hölder­lin prend sa retraite. Loin de ses fréquen­ta­tions de jeunesse, de Georg Wil­helm Friedrich Hegel à Wil­helm Joseph Schelling, il con­naît les plaisirs d’une vie rus­tique, dans le giron de la famille Zim­mer, le menuisi­er Ernst Zim­mer qui a le sens de la mesure. De méchantes âmes pla­cent le vieux garçon qui est fatigué par les épreuves de la vie, à la croisée de la folie et de mélancolie.

À Bin­gen am Rhein, patrie d’Hildegarde de Bin­gen, à moins que ce ne soit à Tübin­gen, dans le Bade-Wurtem­berg, aux antipodes de Königs­berg, Friedrich Hölder­lin trou­ve refuge. Fou de dieu ou bête de foire, il ressem­ble à un saint chré­tien qui a des visions de béat­i­tude. Dans son fief du Neckar, le poète exilé a l’air d’un prophète de l’Ancien Tes­ta­ment, Élie ou Ezéchiel. Ce brave homme con­stru­it, à ses dépens, sa légende dorée dans la poésie uni­verselle. La cité de Tübin­gen qu’arpentèrent Philippe Melanchthon, Lud­wig Uhland, Alois Alzheimer, devient un lieu de pèleri­nage, dans le droit fil du sanc­tu­aire Notre-Dame d’Altötting, dans le sud de la Bavière.

Sous les yeux du poète Hölder­lin coule la riv­ière de son enfance qui bor­de sa mère patrie, Lauf­fen am Neckar. D’ailleurs, il jouit, à par­tir du 3 mai 1807, déjà le print­emps, des rives du Neckar, afflu­ent du Rhin qui est la colonne vertébrale de l’Allemagne. Dans une vie antérieure, le poète de génie a jeté tout le feu des dieux. De sa poésie au long cours de jeunesse, il se tourne vers une poésie courte dans sa vieil­lesse. D’un poète majeur, Friedrich Hölder­lin deviendrait un poète mineur. Dans sa tour ronde à poèmes, il achève des qua­trains, où la rime frappe à sa porte, à l’image du poème « Le printemps » :

Quel bon­heur c’est de voir, quand revient l’heure claire
Où l’homme sat­is­fait cou­vre les champs des yeux,
Quand les humains de leur san­té s’enquièrent,
Quand les humains cherchent à vivre heureux.

Le cap­i­taine Hölder­lin n’a plus la force physique de nav­iguer dans les grandes eaux de la poésie lyrique, épique, trag­ique. Sa poésie, digne d’un jour­nal intime, témoigne d’une forme appar­ente de douceur et de sagesse. Éter­nel ami de la Mère nature, il signe un retour aux sources de sa jeunesse, lorsque le poète roman­tique fai­sait l’éloge du rossig­nol, des chênes, d’une lande. Il abor­de les saisons, surtout le print­emps, car Friedrich Hölder­lin naît le 20 mars qui rythme sa retraite, un ray­on de soleil ou un chant d’oiseau qui égaie sa journée à tra­vers les deux fenêtres de sa cham­bre. Dans ses égare­ments de l’esprit, ses œuvres com­plètes ne peu­vent qu’être incom­plètes. En pleine révo­lu­tion indus­trielle, entre le char­bon et l’acier, Friedrich Hölder­lin s’éteint, à l’âge de soix­ante-treize ans le 7 juin 1843, avant les feux de la Saint-Jean.

Présentation de l’auteur

Friedrich Hölderlin

Friedrich Hölder­lin (1770–1843) est un poète et philosophe alle­mand de la péri­ode clas­si­­co-roman­­tique  (sec­onde moitié du XVIIIe siè­cle et se pour­suit au XIXe siè­cle vers le roman­tisme). Fig­ure majeure de la lit­téra­ture alle­mande de cette époque qui est l’un des pre­miers à quit­ter les références au mod­èle grec clas­sique et à revenir aux sources latines, trait qui car­ac­térise le roman­tisme alle­mand et français égale­ment, qui a été influ­encé par ce mou­ve­ment établi ben tout pre­mier lieu dans le paysage lit­téraire allemand. 

© Crédits pho­tos Alamyimages.fr

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Nicolas Grenier

Poète français, Nico­las Gre­nier a pub­lié le recueil de haïkus “Roset­ta, suivi de Phi­lae” en 2015, l’ou­vrage “Travaux de réno­va­tion : plomberie, brico­lage, élec­tric­ité, essai sur la poésie française, européenne, mon­di­ale” en 2021, une antholo­gie de poèmes “Paris tout en vers du Lou­vre au Père-Lachaise — Panora­ma de la poésie parisi­enne” en 2021, entre autres. Son dernier recueil “Paysage de neige, mono­lithes, inédits” paraît en 2025. Une cen­taine de revues ont dif­fusé ses poèmes, de la revue Europe en France au Tow­er Jour­nal, aux Etats-Unis. Son œuvre poé­tique est influ­encée par la poésie antique, mod­erne, con­tem­po­raine, et par le XXIe siècle.

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