JACQUES ARAMBURU, MAISON ‑BUFFLE
On le sait maintenant, Jacques Aramburu est un autre. Celui que l’on prenait donc (et à juste titre puisque c’était indiqué dans sa biographie) pour un employé de restauration, est en réalité un être fictif. Une création d’un autre poète, mieux connu : Alain Breton1. Ces deux auteurs sont-ils pour autant si dissemblables ? Rien n’est moins sûr, considérant qu’Aramburu est le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle. Projection, écart, dissociation, quoi de plus légitime pour un créateur que de faire l’expérience d’un pseudonyme ? Et ce n’est pas comme si c’était la première fois que cela arrivait.
Elle m’avait plu, dès l’instant où j’ouvrais Maison-Buffle, cette biographie lapidaire, inhabituelle, chargée. Je me plaisais à imaginer Aramburu noircir les pages d’un cahier à la fin de son service, dans le bruit d’une cuisine qui se range et se nettoie. Immergé dans ses souvenirs, timide, seul. À penser à cette maison parfumée de cendres, qui « astique ses plâtres » et sur la poussière de laquelle « la pluie (y) tient / pour faire carrière. »
Jacques Aramburu, Maison-Buffle, CHEYNE EDITEUR, 1993
On entre comme un seul homme dans cette maison calme, pleine d’aimables fantômes, « (…) les petits peuples du miroir ». Ainsi on pense histoire de famille, et sans doute à raison puisqu’on sait désormais pour la grand-mère basque.
La maison est moins personnifiée qu’hantée. Du buffle, elle retient « les espaces libres. Une armoire qui respire à fond. ». Ce sont des voix qui montent des murs, « Ça danse et ça chante. Ça parle du renard qui est mort. » Maisons à toutes épreuves, je les passe en revue. Celles que j’ai habitées, même momentanément. Celles que j’ai visitées.
C’est là, semble-t-il, le premier objectif de Jacques/Alain : célébrer les âges à travers l’habitat, la datcha, familiale ou pas d’ailleurs. La grosse maison oubliée au fond du bois de nos souvenirs, comme un illumination première : Maison du creux, du peu. / O bel écho, lampe qui ne s’apaise, / échardes nouées, corne sèche. / Dire enfin la maison, / corolle son règne, / enclos à gréer gravats en verve. / Mais qui passe, qui s’installe,/ qui laisse sa langue au lavoir / et la lettre, et la pincée de sel ?
L’ouvrage est scindé en deux parties, inégales par leur taille, et la seconde révèle un dessein différent. On quitte la maison pour se réfugier dans son jardin. « Le pays au mille étés ». C’est toute une époque, comme on dit. C’est le souvenir du temps long, sous un soleil franc. Jamais un monde qui finit, un réquisitoire ou du buccolisme. C’est l’enfance avant tout, la découverte. On commence à comprendre que, pour l’auteur, ce sont les conditions d’une initiation poétique qu’il entreprend de nous conter dans ce livre. Si la maison enseigne, le jardin fait éclore la voix : Que faire d’autre que parler, / que se confondre dans l’été belle race, / que garder les bleus pour soi. / On titube dans un temps si long, / on répète comme son propre effacement, / on essaie de déborder de son ombre, / on entend décroître la Figure.
L’auteur l’affirme : « il n’y a pas de maison sans puits » L’eau coule sous nos pieds. Ainsi ancré depuis si longtemps dans l’esprit du poète, la subjectivité bat le souvenir. Tout est vrai comme dans un rêve. Que dire alors de cette « Nuit des genoux / nuit des torses », sinon qu’une ombre plane sur les corps endormis, l’ombre d’une rixe nocturne ? Au secours de ces visions oniriques, un langage court, ordinaire, et des rapprochements sémantiques subversifs. Mais le jour, ce sont de grands éclats : « pommes cueillies par un halo », « une femme fait un shampoing à la lumière », qui sous-entendent une photosynthèse à venir. Dans un autre livre2, c’est Jacques qui parle encore : « Parfois on jette des lueurs qui deviennent fleurs ou rocs (…) ». La lumière : active, qui imbibe le terreau luxuriant du souvenir.
Nous sommes ici à un carrefour, un moment-clé. Celui-là même où les destins d’Alain Breton et de Jacques Aramburu se séparent. L’un deviendra poète, écrivain ; l’autre, employé de restauration rattrapé par sa mémoire et forcé de prendre la plume pour évoquer avec la plus grande fraîcheur le dessillement qui fut le leur. Ainsi il nomme la première partie de son recueil : « La source qui a eu lieu ».
Notes
2. Jacques Aramburu, Le Chasseur de rivières, Poèmes pour grandir, Cheyne Editeur, 2004.
Présentation de l’auteur
- Franck Villain, Saisi par l’hiver - 5 avril 2022
- Erwann Rougé, Le Perdant - 6 décembre 2021
- Christophe Mahy, Arrière-plans - 21 février 2021
- Il travaille dans la restauration - 26 novembre 2020