3 fragments
C’est vouloir et ne plus connaître
Rien est absolument Tout
Le corps l’océan la figure
d’un poème effacé
Esto es querer y no ya no conocer
Nada es absolumente Todo
El cuerpo el océano la figura
de un poema borrado
Attouchements d’espaces
Autant de sable dans la mie du pain
Le paysage se met à table
Sur anatomie d’oiseau en vol
le suprême banquet
Contactos de espacios
tanta arena en la miga del pan
El paisaje se pone a la mesa
En la anatomía de pájaro en vuelo
el supremo banquete
L’eau hennit lourde langue de bleu
Accuse ton passage
La mitoyenneté serait île corps océan
L’osmose de ce nu à la cheminée
et de ton rêve mâcheur d’abeilles
El agua relincha pesada lengua de lo azul
Acusa tu paso
La medianería sería isla cuerpo océano
la ósmosis de este desnudo frente a la cheminea
y de tu sueño mascador de abejas
∗∗
traduction de Porfirio Mamani Macedo, Belgique
L’Arbre à Paroles, 2007 ; réédition juin 2013.
Le Chant de Manhattan (3 extraits)
Ça s’étire : les longues jambes jusqu’à l’océan, les bras vers le ciel. Un corps, une ville, une étrange composition totalement imaginée par l’homme blanc. Le Peau-Rouge lui vendit pour vingt-quatre dollars cette boue, ces collines, ce fleuve. Etrange transaction si l’on sait que pour un Indien la terre ne nous appartient pas. Seulement prêtée le temps d’une vie et ainsi de génération en génération. L’homme noir, ce fut une autre histoire. Le vent se glisse entre les tours, avec fracas. Il raconte : New York is black, New York is red, New York is yellow.
Auréolé, ce qu’il reste de nuit dans ce jour fade caresse la peau du survivant qui passe. Cela gonfle jusqu’au soir sur le zinc où la mousse d’un verre de bière déborde. La fille jette sa tête en arrière sur un rire de gorge. L’ennui, le ballet charnel croisent le chant, le rossignol, les notes. Le trompettiste souffle. La chanteuse écrase sa robe d’organdi entre les mains d’un “ guy ”. Les doigts, les jambes, le plancher, la houle dessinent, tracent sur Broadway ce sentier apache, défient la grille implacable de Manhattan. Sweet Brazil.
Dans les tunnels s’engouffrent les rails, sous la ville, la ville. Les piliers se dressent foisonnants. Diamant qui se renverse, complice suit les gestes quotidiens, lianes et racines touffues s’enchevêtrent aux courroies d’acier, aux vérins, aux mains qui se caressent. Le temple et les autels, les femmes s’asseyant leurs yeux bridés levés vers d’autres nuits. Les travailleurs ankylosés, le shit, une rame qui roule. Dieu est mort. Le manque et l’iris, les genoux qui se cognent. Les vitamines, les tranquillisants dans les poches, l’enveloppe de chair qui éructe sur les gravats, les immondices, les tags, la plainte d’un saxo. La foule se presse, regarde les horloges. L’express et le local suivent leur course, la rivière, les courbes, les collines, la puanteur. Les faïences, les mosaïques de Cortland Street, les coulures, Ravenne et Bursa, la mosquée verte, les tapis de prière, la septième année, le septième jour, le sabbat, une respiration qui se retient. L’enfant, ses yeux rieurs, sa peau, la couleur et la peur, la gangrène, la galère assis côte à côte et devisant. Sur les poumons qui s’étiolent, la brûlure des talons, la tempête sans bornes, l’argument d’une journée que l’on doit accomplir. Les signaux rassurent, immergent leurs faisceaux, cèdent à l’homme sa part de jeûne, aimantent ce qui reste de lumière dans les chairs, les vaisseaux.
Éditions SEGHERS, 2006