traduction : Bernard Turle
Hiver
Couché sur des coussins carmin,
le rose saigne en or
et le rouge coule dans nos coeurs.
Des bandes de cuir marquent le temps,
calibrent les heures
à l’aune de zones,
ignorant la grammaire
porteuse de sens.
Seuls d’épisodiques ouafs et ronflements
de deux chiens au loin
par une nuit très froide
dissipent une brume irrésolue.
Les pousses neuves attendent neuve
chaleur – pour croître, mûrir.
Un vieux fauteuil en rotin détient
la poésie du repos — texte
tressé rivant le confort sur place.
Mais c’est l’impatience du désir
qui bloque les résolutions.
Lourde, cristalline, vaporeuse,
Fendue rouge par les langues natales —
l’haleine de l’hiver est rose.
Winter
Couched on crimson cushions,
pink bleeds gold
and red spills into one’s heart.
Broad leather keeps time,
calibrating different hours
in different zones
unaware of the grammar
that makes sense.
Only random woofs and snores
of two distant dogs
on a very cold night
clears fog that is unresolved.
New plants wait for new heat —
to grow, to mature.
An old cane recliner contains
poetry for peace — woven
text keeping comfort in place.
But it is the impatience of want
that keeps equations unsolved.
Heavy, translucent, vaporous,
split red by mother tongues —
winter’s breath is pink.
*
Gaza
Trempés de sang, enfants
tête explosée
avant même d’être formée.
Gaze, des bandes de gaze —
interminables mais
pas assez pour étancher
tout le sang de Gaza.
Coule une rivière de sang,
abreuvant les sables du désert
d’une haine incarnat.
Flot de lave sans fin
sur un pays parchemin-orphelin,
bombardé toutes les cinq minutes
pour débander Gaza du peu
qu’il reste de la bande de Gaza.
Vies infimes soufflées,
visages dé-visagés, yeux vides —
un nouvel holocauste se poursuit
sans trêve. Le monde gémit
rouge, pleure
un incessant chant de sang.
Gaza
Soaked in blood, children,
their heads blown out
even before they are formed.
Gauze, gauze, more gauze —
interminable lengths
not long enough to soak
all the blood in Gaza.
A river of blood flowing,
flooding the desert sands
with incarnadine hate.
An endless lava stream
on a parched-orphaned land,
bombed every five minutes
to strip Gaza of whatever
is left of the Gaza strip.
Tiny lives snuffed out,
faces defaced, eyes vacant —
a new holocaust continues
unabated. The world weeps
red, mourning
an unceasing blood-song.
*
Le banyan
Quand les secrets de l’hiver
fondent
au soleil
incarnat,
ce qui sourd
est électrique —
les notes composent
des gammes inconnues,
la syntaxe altère
les langues,
la terre cuite fond
blanche,
le banyan s’enrubanne
d’armatures
ses branches-racines
se cabrent, rejoignent
le sol en ronde.
Des parcours
brillant
sous l’étoffe
portent des
alphabets
à la plume d’un
calligraphe,
italiques
d’encre invisible,
lettres jamais
postées,
carte du cartographe
inexplorée —
les mots ondulent,
les voiles aussi.
Banyan
As winter secrets
melt
with the purple
sun,
what is revealed
is electric —
notes tune
unknown scales,
syntax alters
tongues,
terracotta melts
white,
banyan ribbons
into armatures
as branch-roots
twist, meeting
soil in a circle.
Circuits
glazed
under cloth
carry
alphabets
for a calligrapher’s
nib
italicised
in invisible ink,
letters never
posted,
cartographer’s
map, uncharted —
as phrases fold
so do veils.
*
Tessons d’une dispute
Nous écoutons tandis qu’une pelle ramasse
les tessons d’une dispute.
— Vern Rutsala
Depuis des années tous les soirs, j’entends des voix à côté,
à travers la cloison, le coeur
des cris crépitant comme une vieille
aiguille sur un 78 tours rayé,
enrayé. Tous les soirs, ça revient, plus âpre
chaque fois. A minuit, le rituel reprend:
les premiers échanges à peine audibles,
puis monte le niveau de décibels, haut plateau de sons assourdis,
avant de s’envoler soudain dans l’air
cristallin d’éclats codés, une montée raide, démente et puis
des verres brisés font tout voler en éclats,
et le soprano de l’angoisse surprend un merle bleu dans
son nid dehors, sur le rebord en terre cuite
de mon antre. Tous les matins quand le pourtour du soleil
déblaie le toit du voisin, je balaie,
essaie d’extirper des peluches sous les portes.
Elles aiment s’agglutiner en boulettes soyeuses,
isolant les fissures entre les logis adjacents, la cloison
qui à la fois sépare et unit, comme la haie de
poussières pelotonnées de peur d’être balayées.
Scattered pieces of a quarrel
We listen while a dustpan eats
the scattered pieces of a quarrel.
— vern rutsala
Every night, for many years now I hear voices next door
through the thin of the wall, every core
of the crackling scream, like an old
stylus needle on a scratched gramophone record,
stuck. Every night it happens, shriller and fiercer
every night. At midnight, the ritual starts over:
the first conversations barely audible,
then the decibel levels, a plateau of maimed muffles
before taking off sharply, into the crystal
air of coded cries, on a steep delirious climb until
breaking glass-ware scatter smithereens
as the soprano of anguish startles a bluebird in
the nest outside, on the terracotta ledge
of my alcove. Every morning when the sun’s edge
clears the neighbour’s roof, I sweep the apartment floor
trying to extricate rolls of dust from under the doors.
They somehow seem to huddle in fluffy balls
insulating the crevices between adjacent flats, the same wall
that simultaneously separates and shares, just like the array
of dust coils clinging together, in fear of being swept away.
*
Question
Ton odeur corporelle
et de longs cheveux
embrassés la nuit,
gisant sur mon oreiller —
des boutons cassés de corsage
sur mon drap —
un cil solitaire,
indifférent,
recourbé, point
d’interrogation, abandonné —
Sables mouvants,
traîtres miroirs du temps —
mes réponses logent
dans tes ponctuations.
Question
Your body scent
and strands of long
night-kissed hair
left on my pillow —
broken blouse-buttons
on my bed-sheet —
a disengaged
lone eyelash
curved, left behind
as a question mark —
Reflecting quicksand,
mirrors of time —
my answers live
in your punctuations.
Le recueil bilingue anglais-français Incarnat/Incarnadine de Sudeep Sen est disponible sur wem.free.fr/tartuga@wanadoo.fr et sur Priceminister.
L’enregistrement des Rencontres poétiques de Carnoules 2017, organisées par Bernard Turle et auxquelles a participé Sudeep Sen, est visible sur www.vartv.fr/video/videoById/1136