“J’ai beau regarder
partout l’éternité
me dépasse.”
Un carnet – posé là, sur la couverture du recueil ou serait-ce plutôt celui qu’on tient entre les mains, un carnet pour déposer là tout ce qu’on saura lire entre les lignes, dans la sensibilité d’Isabelle Bonat-Luciani, parce que, quand bien même, il faut bien une surface pour dénouer la complexité des marées d’émotions, celles qui vous submergent longtemps après, la vie durant, « peut-être parce que je n’ai jamais touché ta peau »…
Le recueil est un récit poétique qui rassemble entre prose poétique et poèmes verticaux, des formes variées dans les jeux pronominaux, un je et un elle indifférencié, on glisse du tu au elle, puis à nouveau au je, du elle au « on », comme pour démultiplier la présence de l’absent et la sienne du même coup, remplir l’espace du seul vide creusé dans la violence subie.
« elle disait « on »
on a bien mangé
« on » est entré dans ma vie ».
Quand bien même dit l’absence, le manque, le creux au ventre fécond, la mort dans la vie, la vie dans la mort, les failles de la vie, la vie dans sa disparition :
« Derrière tes mots
j’ai cherché
tous tes gestes
en fermant les yeux
comme les gosses
qui comptent
ça-sera-toi »
Chercher un visage, remplir un vide, fouiller les méandres du cœur et de la mémoire, retrouver une ressemblance, s’attacher une identité, une part de soi manque, une part secrète, impossible à combler. « Demain, on te dira qu’il n’y aura rien à dire de plus ».
Et la porte se referme sans cesse sur le vide, la fillette demeure, seule, face à elle-même, personne dans le miroir, même quand elle aura grandi.
« La fillette rose fée de juin retardait son souffle guettant du coin de l’oeil l’absent qui lui creuserait ses années une fois de plus ».
Il faudra avancer, suivre un chemin pavé d’ombres, de remparts, se forger une armure, se fabriquer des racines, parler un langage, discours qu’on n’aura jamais prononcé.
Attendre ne suffira plus, parfois l’exil des mots et du temps se creusera un nid, une « tanière »,
« après les ruines
le plus loin possible
que la terre vienne en moi
comme une aurore
dans ma mémoire. »
C’est une absence inconsolable qui a laissé l’enfant loin d’elle-même, dans ce temps où le père encore se tenait là tout près d’elle.
« J’ai pensé n’être nulle part,
ni vivante ni morte.
J’ai pensé l’ombre des montagnes
et le vol des oiseaux.
J’irai creuser la terre. »
Mais les disparitions se font parfois longtemps avant que d’être définitives, muets présages, empreintes douloureuses, creusement dans la chair. L’autre parti sans rien dire pour une autre un jour, réapparaît pour justifier ses silences dans une disparition tangible qui dira enfin son vrai nom.
« Il est devenu mon père ce jour-là
le jour où désormais
il y aurait une excuse à son silence
et je n’aurai plus rien à attendre
Ce jour-là j’ai reposé en paix. »
Créer, recréer, à l’infini cet autre qui a été, qui aurait pu si… , qui aurait dû même ! quand bien même… « Parfois je crois avoir la mer en moi, et je déborde ».
Cet autre qui, si elle avait pu… mais non, il faudra bien qu’elle-même un jour devienne qui elle est.
« C’est peut-être dans ce parfum d’immuable que la pierre tenait ma poitrine au chaud. C’est peut-être le tien qui me gardait le plus au bord des intimes à la juste frontière des pudeurs où chaque don, chaque réserve s’accrochaient péniblement dans un présent inquiet. C’est peut-être nos ombres qui se parlaient entre elles obstinément, nos présences tenues en échec de toute tentative. Parce qu’elle est restée en moi si forte qu’une fois l’éternité à ta porte c’est bien droite que je suis venue poser la mienne sur ton lit, ma présence pour certitudes. »
*
Isabelle BONAT-LUCIANI est née en 1974. Elle vit et respire à Montpellier, tente de voler aux riches pour donner aux pauvres, ne craint pas la kryptonite, est plutôt punk et parfois poète pour regarder le monde dans un minuscule quand il est trop grand, dans un immense quand il est trop petit.
Eric PESSAN est né en 1970 à Bordeaux, romancier, nouvelliste, auteur dramatique, auteur de jeunesse, essayiste, poète, il s’adonne au dessin en marge de ses carnets de note – allant jusqu’à les publier aux éditions de l’Attente sous le titre « Parfois, je dessine dans mon carnet » — il n’est absolument pas illustrateur.
*