« Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. » : la formule fulgurante de Friedrich Nietzsche extraite de son opéra philosophique Ainsi parlait Zarathoustra illustre à propos la poésie de l’astrophysicien Ito Naga dans ses livres publiés chez Cheyne éditeur.
Laissant, dans cet opuscule, libre cours à la « libre imagination », le poète chercheur au CNRS, démultiplie les perspectives pour mieux déployer une part de vérité(s) en mouvement comme celui d’un ordre de l’univers qui n’aurait de cesse de s’étendre, d’où l’affirmation d’un angle de savoir personnel lui-même en expansion : « Ce que je sais ne cesse de grandir. » Témoins des multiplications des regards visant à cerner toutes les dimensions d’une réalité si vaste, l’anaphore d’expressions prenant les yeux pour racines : « J’ai vu… », « Quand on regarde… » insiste sur toutes les nuances des glissements de perceptions dont la réalité « ne cesse de grandir » à la croisée de tous ces déplacements de points de vue…
Et puisque nous avons cité parmi les plus poètes des philosophes, Friedrich Nietzsche, rappelons enfin la pensée de ce dernier dans Le Gai Savoir dont le perspectivisme fondateur demeure en partage avec Ito Naga : « J’espère cependant que nous sommes aujourd’hui loin de la ridicule prétention de décréter que notre petit coin est le seul d’où l’on ait le droit d’avoir une perspective. Tout au contraire le monde, pour nous, est redevenu infini, en ce sens que nous ne pouvons pas lui refuser la possibilité de prêter à une infinité d’interprétations. »
Ito Naga, Dans notre libre imagination, collection anniversaire de la maison Cheyne éditeur, 64 pages, 12 euros.
Dans le déploiement de la « libre imagination », la pensée d’Ito Naga, héritière de ce nietzschéisme du « perspectif », glisse d’un thème à l’autre, comme l’on semble passer du coq à l’âne dans un entretien, mais le fil rouge du verbe « grandir » dirige néanmoins l’orientation du saut d’un fragment à l’autre. L’analogie entre la complexification, la densification ainsi que l’affinement de la connaissance et l’apprentissage à la fois de la lecture et de l’écriture révèlent comment la découverte du langage, qu’il soit scientifique ou poétique, implique tout l’être engagé dans cette aventure lui ouvrant des mondes nouveaux aux interprétations infinies, comme lorsque, petit enfant, l’on se heurte à l’inconnu des premiers mots : « Par les mots, on peut voyager dans des paysages ou des villes lointaines, ou de la Terre à la Lune et même plus loin sans se déplacer. C’est curieux ! On n’imagine pas cela quand on commence à apprendre les mots. »
Ainsi verra-t-on le recueil aborder tantôt la vision de la Lune depuis la Terre, tantôt le spectacle de la Terre depuis la Lune, disserter sur les effets de la loi de la gravitation, évoquer les multiples univers dans l’espace, faire un schéma des possibilités de l’amour entre attirances et bifurcations, détailler l’opération mathématique à l’œuvre dans la fabrication des croissants, étudier le nom d’un village du Groenland, relever les changements d’heures dans les cycles du temps, dériver de considérations sur la science en discussions à bâtons rompus, décrire la peinture surréaliste de La Tentation de Saint-Antoine, etc., etc.
Comme si le style même d’une conversation interrompue s’acharnait à rendre perceptible à son lecteur l’ « Iro mo ka mo », « la couleur et le parfum », pour reprendre ce que ce titre exprime dans cet autre ouvrage de l’auteur, cette quête de l’insaisissable, de la portée des significations au creuset des synesthésies : « « La couleur et le parfum » dit-on en japonais (iro mo ka mo) pour signifier « l’apparence et la substance ». / Les cinq sens sont-ils vraiment séparés ? Au Japon, on dit qu’on peut voir un goût (aji o miru) ou écouter un parfum (kaori o kiku). / En croisant les sens, ils s’épanouissent davantage. » : agrandissement encore des perspectives ouvertes par les associations de notre imaginaire explorateur du cosmos…
Présentation de l’auteur
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