Jacqueline SAINT-JEAN, Matière ardente

Jacqueline Saint-Jean a depuis une quarantaine d’années crée une œuvre originale, riche d’une trentaine de recueils de poésie. La poète qui a reçu le prix Xavier Grall en 2007 pour l’ensemble de son œuvre nous offre ici un nouveau livre où réapparaît le personnage de Jelle qu’elle figurait dans un recueil précédent, « Jelle est d’un âge immense »1.

Ce personnage récurrent dont le nom, contraction de je et elle, joue sur l’ambivalente identité de celle qui est à la fois le double de la poète et plus encore la femme-gigogne englobant bien d’autres femmes.

Figure féminine d’élection, Jelle défie le temps, accueille les mémoires de tant d’âges, depuis l’« enfant de sept ans »jusqu’à sa métamorphose en «  sourcière sorcière » ou « femme rupestre ». Figure captée dans la mouvance humaine, elle traverse des millénaires, corps mobile, inscrit dans le paysage entre silence et nuit.

« Matière ardente », le titre et le premier vers du recueil semblent faire sens du côté de Gaston Bachelard, philosophe dont la lecture est familière à la poète. Car la question de l’imagination est au cœur de son travail poétique, Jacqueline Saint-Jean le confie à Marie-Josée Christien dans un ouvrage que celle-ci lui a consacré2.

Mais il ne s’agit pas de l’habillage poétique d’un essai sur l’air, l’eau ou la terre. Il s’agit pour la poète de tenter de saisir les états de ce qui fait la matière de la vie. « Humus », « sédiments », « phosphorescences » déploient l’imagination de la « matière » autant que le matériau d’un vécu subjectif qui, l’âge venu, amène l’horizon de la perte. Ces matières fluides, solidifiées, « magma », « moraines », « tectonique » nous parlent d’autre chose que d’elles-mêmes. Elles tracent les voies d’une forme de dérive visionnaire : ainsi le magma devient-il celui de nos mémoires, les moraines, celles des mots et la tectonique met à nu les « peurs » d’un continent intérieur.

Jacqueline SAINT-JEAN, Matière ardente, 2019, Les Solicendristes, 15€.

« À peine exhumée / de l’humus du sommeil/ anonyme mi-animale/ mêlée d’empreintes millénaires », l’image opère un glissement sémantique du signifié géologique au signifié littéraire pour dire les pulsations de la rêverie sur les éléments primordiaux. Le monde intérieur de Jacqueline Saint-Jean fait coexister des temporalités plurielles, remonte à l’alpha des temps, pointe des instantanés de l’Histoire avec leurs soubresauts violents, en même temps qu’il suggère l’expérience intime d’un corps ralenti qui fait l’expérience de l’amenuisement de la vie. Les compositions d’Henri Tramoy avec leurs gris, rouge et noir qui tiennent de la matière en fusion/explosion disent à leur façon ces intenses dissonances.

La poète explore les territoires de sa mythologie personnelle qui élit pour objet la « Geste sédimentée », autrement dit la chanson de geste aux feuillets comparés à des dépôts organiques, façon de filer la métaphore générique du poème.

Au miroir d’un paysage mental qui fixe une géologie du sensible et de ses sédiments, Jacqueline Saint-Jean tisse la trame de l’universel. Elle interroge l’irréductible énigme : « Comment comment finir murmure Jelle ». Évoquant une vie, elle est apte à les dire toutes à la fois, simplement, sans pathos.

Dans le qui-vive de la vision jaillit le poème. L’écriture, ardente au sens premier du mot, associe le motif de l’incandescence, des braises et de la couleur rouge à la force vitale, opposée au froid glacial qui préfigure la mort. L’écriture résiste en s’ouvrant à la tension, au flux mémoriel des images qu’elle s’obstine à fixer, telle cette « rose de braise / où le temps scintille » qui n’est pas sans faire penser à la fleur du poète Roberto Juarroz.

Jacqueline Saint-Jean est tout entière dans ce chant d’ardeur lucide, en haute alliance avec la vie jusque dans sa disparition.

Notes

  1. Jelle et les mots, Raphaël de Surtis, 2012.

       2. Jacqueline Saint-Jean, entre sable et neige, 2017, Parcours Spered Gouez, L’Esprit sauvage.

Présentation de l’auteur

Jacqueline Saint-Jean

Jacqueline Saint-Jean est professeur de lettres, poétesse et écrivaine. Elle a vécu en Bretagne puis au pied des Pyrénées, à Hibarette, près de Tarbes. Elle enseigne à Tarbes et Toulouse jusqu'en 1995.

Membre du comité de rédaction d’Encres Vives, elle est co-fondatrice (1980) puis rédactrice (jusqu’en 2009) de la revue "Rivaginaires". Elle est engagée dans nombre d’actions poétiques.

Elle a publié une vingtaine de titres de poésie et d’autres ensembles de textes, nouvelles, articles, notes de lecture. Son œuvre est traduite en anglais, bulgare, russe.

Pour le recueil "Chemins de bord", elle a reçu en 1999 le prix Max-Pol Fouchet. Et pour l’ensemble de son œuvre le prix Xavier Grall lui a été attribué en 2007.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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