Jacques Ancet, né un 14 juil­let 1942 à Lyon, est l’une de ces grandes voix de la poésie française d’aujourd’hui qui jamais ne laisse indif­férent et dont chaque nou­velle paru­tion est tou­jours une sur­prise voire un ravisse­ment pour le lecteur assidu, conquis.

Auteur de plus d’une soix­an­taine d’ouvrages, égale­ment tra­duc­teur recon­nu et respec­té (Saint Jean de la Croix, José Angel Valente, Luis Cer­nu­da) et essay­iste (Bernard Noël) – l’œuvre de Jacques Ancet se car­ac­térise d’abord par sa régu­lar­ité et sa con­stance ( d’exemplarité) et sa justesse de ton, dont la for­mu­la­tion ver­bale ou autrement séman­tique, ne vaut ni pour appa­rat suran­né, ni pour sim­ple cir­con­stance d’appoint ; mais qui puise plutôt son inspi­ra­tion dans la longue res­pi­ra­tion du poète « trans­porté »  (trans­bor­dé) par les élé­ments d’un monde presque ouvert à l’infini ‚avec en toile de fond la pré­ci­sion des ter­mes, afin de définir le temps ou l’autre temps qui se déroule (roule) sur lui-même dans un espace (bor­dé) délim­ité, par la pro­fondeur de l’interrogation, comme en témoigne encore son dernier recueil inti­t­ulé « Per­dre les traces ». Un titre élo­quent et juste pour s’enquérir d’un MOI fécond, et qui finale­ment ne doit rien à personne.

Par­fois il voit la lumière :     elle vient sans qu’il
l’attende.   Elle est là sur une feuille,   sur le
sol ou sur les doigts.   Il ne compte plus. Les
nom­bres    se sont per­dus. Il attend         pro-
nonce un mot – et l’oublie. 

Les traces – P.16

Jacques Ancet, Per­dre les traces, édi­tions la Rumeur libre, 163 pages, 17 euros.

Une lumière en effet qui se fait atten­dre, désirée  en con­tra­dic­tion avec elle-même –sa des­tinée sous-jacente – se croy­ant sou­veraine et invin­ci­ble ; comme au détour d’un regard inqui­et for­maté par les nom­bres, mais qui oublie que l’ombre est sou­vent au ren­dez-vous de la quête insond­able, irrévélée.

 

Il arrive au bout. Il va  tourn­er la page, au
sens pro­pre,        au sens fig­uré aussi.

                                                                P.17

 

Mais quel est-il donc ce dou­ble sens finale­ment , qui se croit être à la croisée des chemins, sans jamais révéler ce qu’il est réelle­ment, de crainte de laiss­er appa­raître de nou­veaux « mon­stres » plus ter­ri­fi­ants, fussent-ils fan­toma­tiques et impal­pa­bles hormis dans la con­science dévastée par une trop longue attente.

 

Un peu de vent    pour­rait l’aider.

                                                           P.17

Juste un peu de vent, éphémère, pas­sager pour exprimer « le dit du dit » ou inverse­ment le non-dit de l’épreuve insond­able. D’ailleurs :

 

Il con­tin­ue à par­ler   mais il sait de moins en
moins.        Ce qu’il voit, ce qu’il écoute    qui
vient, l’éblouit, l’aveugle,      cou­vre le bruit de
sa voix        un appel, un cri, un feu     crépi­tant,
mais d’où venu ?

                                                        P.22

 

L’indécision con­forte alors l’incertitude dans un bal­let qui n’a rien d’anodin ; « un appel, un cri, un feu »  mar­quant les dif­férences, ampli­fi­ant les écueils exis­tants. Ne plus rien entrevoir, percevoir de limpi­de. « Mais d’où venu ?».

 

Et pour­tant, qui par­le en lui ?
Obscure, une bouche s’ouvre
des mots qu’il ne com­prend pas,
des phras­es sans suite. Il parle
quand il veut se taire. Il sent
dans le jour venir la nuit.
Il voudrait se taire. Il parle. 

P.33

 

Le cri ?

Un cri qui ne cesse d’obscurcir l’espace. Un cri stri­dent ou para­doxale­ment silen­cieux qui se veut aus­si la mal­adroite for­mu­la­tion (jux­ta­po­si­tion) d’une autre attente plus désir­able et dis­cern­able – per­sis­tante – à la lisière, d’un des­tin serein

qui ne serait plus que le silence de SOI ou de l’AUTRE. Comme aus­si bien la soli­tude que le poète arpente et com­bat de toutes ses forces, depuis des lus­tres, sans jamais toute­fois  per­ver­tir « la courbe de la vie » qui lui est hum­ble­ment offerte pour exprimer ses mots au  – quo­ti­di­en -.

La soli­tude, dit-il,
comme une salle d’attente
où atten­dre sans savoir. 

                  p. 63

 

JE, TU, Il, « il est trop tard ;  on y est ». Mais où ? Rien de plus incer­tain que de définir le « point d’achoppement », là où les mots font sou­vent naufrage dans un cri sans lim­ite – un vide abyssal.

 

Comme sur une page vide
les mots qui sou­vent se taisent
et qu’est ‑ce qu’on entend alors
dans le silence qu’ils font ? 

                      P.69

 

Rien ?

Ecrire admet­tons-le n’est jamais que l’espace clos de sa pro­pre nudité, nichée der­rière une vit­re sans tain dont les reflets floués libèrent une ombre plus som­bre encore, que la main qui la porte (la trans­porte) pour sim­ple­ment écrire des mots las, qui font naitre et renaitre – cette peur – que le poète n’a plus la force d’affronter et de chas­s­er hors de son corps, de sa mémoire inquiète.

C’est la peur. C’est quelque chose de sale.
La peur ‑P. 93

Ni pluie, ni pen­sée. Quoi d’autre ?
quelqu’un respire à côté,
on l’entend par­ler, se taire.
La nuit vient de s’allumer.
Quelque chose est là, qui tombe
on ne voit rien, quelque chose,
ni la pluie, ni la pensée. 
La pluie – P 110

 

Quelqu’un ? Quelque chose ? La pen­sée ? Ou plutôt une pen­sée qui viendrait con­jur­er la han­tise du JE/MOI – une pen­sée sub­tile (sauve­g­ardée) cela va de soi, et qui pos­sèderait l’ultime pou­voir d’intervertir les ter­mes de la rai­son trou­blée ; de l’extérieur à l’intérieur, du ver­ti­cal à l’horizontal, sans jamais là encore déranger les élé­ments, car rien de plus aven­tureux et destructeur,..

 

Que met­tre alors sous son nom ? 

(ques­tion)

Cet impos­si­ble à saisir ? 

(réponse)

Cette épine qui s’enfonce ?  P.145

(fatal­ité)

 

Vraisem­blable­ment ce recueil- là se veut-il la syn­thèse con­cor­dante d’un long par­cours intérieur à la croisée de tous les chemins, aus­si bien ceux que l’on emprunte « can­dide à soi-même », ou « apeuré de l’autre », comme si au bout du compte la soli­tude n’était qu’un ora­toire de plus pour clamer son inno­cence per­due au tra­vers de laque­lle le temps défil­erait à l’envers sans se souci­er de sa vraie durée.

 

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Jean-Luc Favre-Reymond

Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002