Jacques Demarcq, Suite Apollinaire
Harpo, le harpiste des Marx Brothers, sort des replis de son large manteau des choses improbables : gamelle, toutou, et même cuisse-mollet de mannequin. Autant d’objets aléatoires souvent désignés par l’index brandi – vers le piano ou sur la harpe - du plus célèbre muet du cinéma américain. Non, cette Suite Apollinaire n’a rien à voir avec lui. Et pourtant, cherchons quand même la petite bête...
En consultant le présent opuscule, l’éditeur Plaine Page officie déjà à 83670 Barjols (et non Barjot, c’est de l’humour si facile qu’il n’en est même pas !). Rien à voir avec Harpo, Madame la commentatrice, il y a erreur d’article ou d’opuscule… Bon, reprenons. L’auteur Jacques Demarcq circule apparemment au Sénégal (dont il remercie au passage ses amis logeurs). Là, il agrémente la poésie de sculptures de volatiles africains et/ou la déploie en zigzags calligrammés, tant et si bien que Guillaume Apollinaire, qui produisit le premier « 1 tout petit oiseau », semble avoir fait des petits, de page en page.
Toujours rien à voir avec Harpo qui n’a jamais sorti de dindon ni de calligramme de sa poche ! Continuons donc notre périple de lectrice obsessionnelle. Le poète-traducteur J. Demarcq est connu pour aduler les zozios dont il imite le chant ou la forme avec conviction. Approcherions-nous donc d’Harpo par la musique ou la faune? Qui sait ? Est-ce un cul-de-sac mental ? Les « figures aviaires » sculptées et/ou écrites proposées dans l’ouvrage proviennent des ethnies yaka, senoufo, baga, bwaba, auquel s’ajoutent des versions (ethnicisées?!) de Picasso (sa guitare), Delaunay Madame et Monsieur (ses roues et sa tour Eiffel), Calder (ses mobiles), Viallat (son haricot style cacahuète) et même Arp – enfin - ce qui m’autorise déjà - ouf - à parler d’une démarche harpollinaire, autrement dit qui n’a rien de linéaire !
En piochant dans les poches de ce recueil harpollinairien, on découvre les « idéogrammes lyriques et colorés», autant de poèmes graphiques réactivés ou réinventés par l’auteur avec une précision redoutable : chaque composition et source d’inspiration – sculpture, assemblage et/ou poème - est détaillée dans les « notes » avec sa double source d’inspiration (des lettres et des formes). Piochons donc ici ou là selon une pioche farfelue et éventuellement…surréaliste.
Sur le plan de la typographie ludique : tantôt le O d’un mot grossit au fil de la ligne et de la phrase ; tantôt le O - encore lui - encercle le mot auquel il appartient (« P ussent » est entouré par un O qu’il convient de replacer entre le P et le U si on veut suivre sérieusement la lecture : « poussent ») ; tantôt le C capricieux et flagorneur se dédouble, détriple ( !), déquadruple ( !) et déquintuple (!) toujours sur la même ligne du poème; tantôt le corps (cad la taille) d’un même mot se met à ondoyer, gonflant et dégonflant sur la même ligne (« sorcier », « s’inquiète ») ; tantôt le X ou le Z tracés avec une épée à la Zorro ont un corps géant « X, Z » défiant la rigueur typo; tantôt les lettres d’un même mot disparaissent sur la page (« silencieux ») comme un son qui s’éloigne ; tantôt… tantôt !!!!
Sur les jeux graphiques, les poèmes – inspirés surtout par Guillaume – prennent la forme parfois d’un visage ailé bwaba (Burkina) ; parfois de queue d’un oiseau baga (Guinée). Parfois la forme de mobiles de Calder, artiste ayant le grand privilège de disposer d’un mobile « bis » calligrammant sa propre traduction, (the calder poem hangs by a thread…). Seules les deux dernières lignes ne sont pourtant pas traduites, sans doute à cause de l’évocation de Joséphine Baker ! Parfois la forme d’une tour Eiffel à la Robert Delaunay, cet « échassier haut bec en l’air de 300m », dont « Gui voulait faire/un appoème de cet/ oiseau qui n’a qu’une aile ». Parfois… parfois. !!!!
Sur le plan oral, les mots jouent subrepticement avec leurs sonorités parfois simplement déplacées : les « papas triotes », la « future gérée nation », le « manioc des maniaques », l’oiseau-rire. Ils grignotent parfois leurs propres syllabes comme des souris (« sroudjouriii »), quitte même à devenir « muet(s) » comme le « zinzin du muezzin ». Attention, ce dernier mot a la chance d’être traduit-écrit en consonnes arabes – m, ou, z, n ((Mais je ne peux les reproduire même si je les aie vérifiées.)) – sans respecter toutefois la coutume d’écrire de droite à gauche. Les mots voient enfin « à la télé des millions de vieilles pies VIP (lire vi-aye-pi) ou pigeons qui prient épris de paix au prix » !
Qui donc a écrit ce recueil dans un monde où les « oiseaux portent des bobines de bois »? Harpo le branquignole ? Ce « berger des nuages » qui s’écrie : « j’ai poli mes plâtres de frôlements d’ailes par-dessus la forêt » et apprécie « le galop soudain des étoiles » ? Que fait-il ? « A l’oiseau du bénin tu demandais de te sculpter une profonde statue en rien comme est la poésie ». Que pense-t-il ? « Personne ne peut me prouver que je ne suis pas un aigle ». Personne ne prouvera non plus que ce texte n’est pas un commentaire.
Bon, je m’en sors… Harpo est quand même sorti du chapeau avant la fin de la notule. Au forceps ? De fait, quelle chance d’avoir tenté d’harpollinariser ce cher Guillaume et son bric à brac saugrenu. Autrement dit, de n’avoir pas approfondi le mot d’esprit qui me titillait le cervelet : trouver tout ce qui aurait pu être apomillonnaire ((dixit famillionnaire dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.)) dans cette Suite Apollinaire! Avec un tel mot-valise, je serai encore à l’ouvrage ! J’ai aussi échappé à l’apolignehoraire ou à l’aponoraire ou… Nul n’ayant universellement raison (ni Guillaume, ni Pablo, ni Robert, ni Sonia, ni Jean, ni Jacques,…) et tous ayant probablement tort, je peux apposer ma signature sans hésitation.