Jacques Goorma, Tentatives
Jacques Goorma n’a cessé de parcourir les espaces ouverts par une expérience océanique de son enfance, relatée dans Le Vol du loriot : « Un gigantesque tourbillon me fait basculer et tomber dans le ciel. Dans le même mouvement, son immensité s’engouffre en moi. » Elle est évoquée çà et là dans ce nouveau recueil, dont le sous-titre indique que le poète tente des regards sur l’inconnaissable – quatre-vingt-dix poèmes intensément condensés.
« Connaître : Avoir dans l’esprit un certain objet de pensée bien saisi dans sa nature et ses propriétés ((Henri Bénac, Dictionnaire des synonymes.)) ».
L’inconnaissable est donc ce qui ne peut pas être un objet dans un esprit. Autrement dit, l’effacement de la distinction esprit-objet en une pure « perception » globale :
ce geste intérieur
infime et foudroyantretourne la conscience
vers sa sourcedoit-on nier
ce qu’on ne peut saisir ?
Il importe de comprendre que le ravissement de l’enfant n’est qu’une manifestation impressionnante de ce retournement de conscience. Car sa forme « ordinaire » est en fait la base permanente de notre être, « notre véritable nature », que sa simplicité même nous dérobe : « Quand vous êtes absorbé dans une activité, quelle qu’elle soit, sentez-vous un ego quelconque ? », demande Swami Prajnanpad ((Daniel Roumanoff, Swami Prajnanpad, un maître contemporain.)).
Ce qui est souvent nommé « notre véritable nature » est pour Jacques Goorma le séjour : « On ne peut sortir du séjour, mais on peut l'oublier, l'ignorer, être dans la confusion. Personne ne peut l'obtenir, car il réside où il n'y a personne, mais on peut disparaître et naître dans sa lumière. On ne peut qu'être le séjour. ((Le Séjour. José Le Roy (eveilphilosophie.canalblog.com/) consacre plusieurs billets à l’auteur, qu’il rapproche de Douglas Harding et de sa « vision sans tête ».)) »
Pas question de le décrire – « autant demander aux nuages / de parler du ciel ». Seule voie, peut-être : « décrasser / la parole // racler / le silence » pour le laisser vibrer. Cette « folle tentative » - parfois nommée « tentation » - ne semble donner que de « pâles reflets », et le dernier poème exprime une aspiration presque douloureuse. Comment en serait-il autrement ? Toucher l’espace ne se peut et « l’immensité que nous sommes » s’est déjà évaporée - laissant la trace qui ensorcèle notre réceptivité :
un mot
me clouesur le mur impalpable
de ma nuitquelque part
dans l’inétendu