Jacques Josse, Trop épris de solitude

Par |2024-12-21T06:48:02+01:00 21 décembre 2024|Catégories : Critiques, Jacques Josse|

Jacques Josse aime les êtres vivants dans les marges et tous ces pas de côté qui nous appren­nent tant sur la nature humaine. Le voici, cette fois, du côté des « épris de soli­tude » hommes ou femmes qui assu­ment, cahin-caha, leur mode de vie. Il nous en par­le dans des poèmes ou dans de cour­tes pros­es poé­tiques qui sont autant de tableaux de genre bien sentis.

« Ce n’est que par­mi les pau­vres ratés que je trou­ve les gens que j’aime le plus ; les rich­es ne peu­vent, en ter­mes de général­i­sa­tions, par­venir à l’originalité qu’en devenant légère­ment dingues ». Ce n’est pas Jacques Josse qui le dit mais le poète gal­lois Dylan Thomas. Des pro­pos que l’auteur ren­nais pour­rait, par con­tre, repren­dre volon­tiers à son compte.

 Nous voici, en effet, plongés avec son nou­veau livre dans l’univers de « fan­tômes à vélo », d’écorcheurs de lap­ins ou de piliers de bistrot. Voici un homme « pris de bois­son » qui « insulte trois tombes ». Voici « le son rauque d’un cri qui monte du fonds d’un puits ». Voici celle qui voit « des vipères partout ». A trop s’éprendre de soli­tude, jusqu’à s’en mor­dre les doigts, on peut tomber dans l’alcool, dans la folie, et, au bout du compte opter pour le sui­cide comme celui-là qui « s’est accroché » à l’une des branch­es d’un pommier.

Le monde de Jacques Josse n’est pas rose. Mais son atten­tion soutenue aux gens et aux choses nimbe de lumière tant de scènes de la vie quo­ti­di­enne. C’est le cas dans ce quarti­er pop­u­laire de Rennes où il vit. « Allée d’Herzégovine, une grosse femme voilée traîne un cad­die d’où dépasse une botte de poireaux ». Plus loin, « Cours du Danube, un homme assis sur un ban partage son sand­wich avec un berg­er alle­mand ». Quit­tant les grands ensem­bles de la métro­pole, il croque des scènes de la vie rurale qu’on imag­ine volon­tiers celles de son Goë­lo natal. Voici ce paysan « soix­ante ans/lit froid, vie rêche » qui « lance, remorque pleine/son tracteur dans les ornières ». Voici aus­si, car la mer est toute proche, « ce pan de roches noires où dansent,/dit-on, cer­taines nuits/des squelettes de marins perdus ».

Jacques Josse, Trop épris de soli­tude, le Réal­gar, 77 pages, 15 euros.

Jacques Josse fait vibr­er son monde, celui des vivants mais beau­coup, aus­si, celui des dis­parus. Il rend hom­mages à ces héros du quo­ti­di­en, ces com­bat­tants dont on ne trou­ve les noms sur aucune stèle, à ces « invis­i­bles, couchés dans des caiss­es, à l’est ou au nord de la ville » qui « se sou­vi­en­nent des braseros, de la fatigue, des bières bues au goulot, des brusques cris de colère ». Jacques Josse dit qu’ils ont « le som­meil per­tur­bé par le vacarme qui résonne dans les galeries ».

Ces « invis­i­bles », il les asso­cie dans son livre à des hommes sans doute aus­si épris d’une forme de soli­tude, par­tis trag­ique­ment, mais dont l’histoire a retenu les noms. Ain­si Vic­tor Ségalen dont Jacques Josse évoque la mémoire et la bru­tale dis­pari­tion en forêt du Huel­go­at (« Cela remue dans les branches/quelqu’un froisse des fougères et du bois »). Ain­si, aus­si, l’écrivain tchèque Bohu­mil Hra­bal dont il a vu la sil­hou­ette « danser sur la paroi/d’un mur rayé ». Lisant l’auteur ren­nais on pense à ces mots du poète maro­cain Abde­lat­tif Laâbi : « Entre les vivants et les morts/La poésie n’a pas de préférence ».

Présentation de l’auteur

Jacques Josse

Jacques Josse, né le 10 juin 1953 à Lan­vol­lon dans les Côtes-du-Nord, est un Poète et édi­teur français. Il vit à Rennes depuis la fin des années 1980.

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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