Dans le salon de coiffure
Teinture
Balayage
Lissage
Tous les –ages sur fond
De musique insipide
Tandis que je tente de lire pour tenter
De m’incruster plus avant
Dans l’intimité de la pierre
Dans les vertigineuses spirales de Gavrinis
Dans le squelette abattu
Des géants de granit
Désenterrés
Radicale mémoire des pierres
Des menhirs et dolmens
Des cairns des tombes à couloir
Et l’aventure des pionniers
De l’archéologie mégalithique
Mais fait irruption
Balayant tout
Dans l’instant de grâce
Louis Armstrong et son
What a Wonderful World
Voix mélodie m’enveloppent
Toute lecture cessante
Armstrong me saisit
De sa poigne
À la racine des cheveux
M’entraîne dans la spirale
Balancée de sa voix rauque et
Suave
Oh ! paradoxe
Percuteur et polisseur des métronomes
Implacables
Pas exagéré de parler de
Charme envoûtement
Moment de suspension
Absolue du Temps
Pendant
Ah !
Deux minutes et dix-huit secondes
Impossible à reconstituer
Impossible à prolonger
Mais purifié
Deux minutes et dix-huit secondes
21 avril 2022
*
Gnossiennes de Satie
Cliquetis
Plumetis de notes produites
Sur des gammes légèrement
Désarticulées désaccordées
On gravit en déhanché
Et redescend des degrés
En spirales
On glisse sur
D’entêtants anneaux de Moebius
On emprunte
Des escaliers d’Escher
Où de loin en loin
Des marches font défaut
Aube ou crépuscule
Du monde
On attend un lever de rideau
Qui ne vient jamais
On progresse peu dans ce
Château de Marienbad
Ô lourde
âpre fluide hypnose de ses miroirs
Biseautés
Tout en girations
Dans ses grands parcs labyrinthiques
En trompe‑l’œil
On croise de belles et lentes processions
De femmes errantes échappées
Des tableaux de Delvaux
Et dans le lointain
Tournent encore
Mis au pas
Silencieux
Des chevaux de manège
Autour de l’orbe du ciel
14–16 mai 2022
*
Satori arcueillais
Me plaît le guingois de Satie, Erik
Le clinamen arpégé de sa triade
De morceaux en forme de poire
Leurs chevaux de bois soudain
Échappés du carrousel
Leur vaillant petit trot et
Leurs ruades nerveuses
Pétaradantes
Leurs soubresauts
Claquant comme éventails
Ou bien leurs pas solennels
Cadencés
Un rien hallucinés
Puis
Clau
di
quant
Iront s’abreuver
Au Chat Noir
Beau matou
Dont la queue ébouriffée
S’électrise aux nuits
De Montmartre
Toujours assoiffés de vie
Hennissant à la barrière d’Enfer
Et pivotant à la Vache Noire
Vers l’aqueduc
À Arcueil rejoindront
(cortège oh ! tant tantrique
que satyrique)
Le bouc enguirlandé de Ronsard
Et Bibi-la-Purée (qui jadis cirait
Les pompes de Verlaine)
Et puis retrouveront Satie-Socrate
Et les blanchisseuses des bords
De Bièvre (mais point
Donatien marquis de Sade)
Pour des agapes dionysiaques
Et rosicruciennes
Sous l’œil gai et brumeux
Du géant Sire de Malassis
25–28 avril 2022