Jacques Moulin, Corbeline
Entends l'oiseau
qui dit
qu'oui qu'oui
l'entends-tu
oui ou non
qui fait
qu'oui
depuis l'aile
disons l'oïl
jusqu'au cercle
oc-
ulaire
et son bec qui toque
au vivant
bec s
oui que si
c'est la vie
l'a pas dit
c'est nenni
et tant pis
si son croupion
fait non
C'est une extraordinaire bonne surprise ! Frais, aérien et fouailleur, drôle souvent, croustillant de mots inventés. Jacques Moulin nous offre une facétie plumologopataphysique.
Un livre sur les oiseaux ? Un livre oiseau ? En l'écoutant — car il vous faudra béer du bec et les énoncer, ces poèmes — on entend froissements d'ailes, coups de griffes sur écorce, pépiements paniqués. Et les mots semblent sortis d'une graineterie un peu foutraque bien sympathique.
Il s'en est pourtant fallu de peu que je laisse ce recueil de côté : il arrive par la Poste, je déballe le volume relié très luxueux, impressionné par la qualité d'impression, la finesse de la typographie et le côté très galerie d'art moderne des images d'Ann Loubert. Ouh la la, ça rigole pas ! J'ouvre au hasard… une histoire de corbeau. Ah ? Tout ça paraît bien fluet, comme si je venais d'entendre un air de mirliton alors que je me recueille au milieu des colonnes du Panthéon. Curieux choix éditorial !
Et puis ma chère femme ouvre l'ouvrage et se met à lire les poèmes. À voix haute. Alors les mots de Jacques Moulin prennent leur essor, la ligne d'horizon se gondole, je déguste, je souris, je frétille, je pleure de rire et de joie toute simple.
Avec tout le respect que j'ai pour l'oeuvre inspirée d'Ann Loubert et le catalogue de l'Atelier contemporain, il me semble que ce genre de texte appelle des artistes un peu plus rugueulards comme l'artiste brut François Werlen… et une couverture souple, crénom de nom ! une couverture souple qu'on puisse l'emporter et le déclamer au milieu des landes et des bois. Ou au milieu d'un carrefour, en tirant la langue aux caméras.
Jacques Moulin, Corbeline, monotypes d'Ann Loubert, L'Atelier contemporain, septembre 2022, 176 page, 20€.