Jacques Rancourt, Fragments du temps qui court, extraits
Renaissance
Un matin comme celui-ci
l’eau revient du ciel
après des semaines d’absence
elle arrive sous forme de pluie
se mêle aux bruits
dissipe le gris sur la matière
un enfant passe en courant
il n’avait rien prévu du temps qu’il fait
il devient le temps qu’il fait
Évanescents
C’est ainsi que nous passons
en discontinu
dans la vie les uns des autres
le soleil ni l’horloge
n’y trouvent à redire
sur le fond ni sur la forme
parfois les ascenseurs se croisent
on se souvient du futur ou du passé
on n’est que plume au vent
Retour
Ce jour de neige à Paris
ne ressemble à aucun autre
de mémoire récente
les platanes ont déjà feuillé
les magnolias fleuri
presque les cerisiers
l’hiver est revenu sans prévenir
la tête à l’envers
il faut lui faire une place
Discrétion
Au moment de partir
il a voulu relire sa bible
et rembourser ses dettes
le toit était à refaire
et l’aspirateur à remplacer
il n’en a pas parlé
il s’est éteint tout seul
comme une bougie à court de cire
comme une âme à court de corps
Disparition
Quel serait votre avis
sur un jour en train de déraper
vers son fac-similé ?
votre avis sur l’enfance
déplacée d’école en école
sans ses instituteurs ?
on dirait la pluie
en train de fuir au loin
sans attendre le vent
Recueillement
Je représente la nuit
ce qui reste de lumière en moins
sur mon ombre personnelle
la parole s’est assise
à côté du silence
comme auprès d’un frère aîné
nous comptons les survivants
ils se comptent entre eux
le compte n’est jamais juste
Absorption
Le tu était souvent un je
énoncé en plus discret
pour n’effrayer personne
cela se passait en fait
à une époque lointaine
non encore révolue
vous versiez l’eau dans la bassine
et c’est l’eau
qui finissait par vous boire
Image de Une © Caroline Halazy, mai 2018.