Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte
« Seule compte l’heure offerte qui vient à ma rencontre et cette branche qui tremble encore d’un oiseau envolé » (p.65)
Ces notes sont à la fois méditation et dialogue, dialogue avec le lecteur et dialogue avec Dieu.
Elles sont d’ordre spirituel et poétique, elles sont aussi lettres d’amour, adressées à l’aimé, et aux lecteurs, des lettres qui prolongent toute rencontre par-delà la mort, « heureux ceux qui dans l’amour se sont endormis ».
Un chant à la vie (p.157)
Pour Jacques Robinet, la psychanalyse et l’écriture sont des chemins de liberté, la psychanalyse pour mieux vivre, pour mieux aimer.
Ce journal est traversé d’une lumière, celle qui irradie la poésie de Marie Noël et c’est aussi ce même souffle de paix qui habite leurs mots, il n’est pas étonnant que deux vers de Marie Noël : « Le jardin au milieu du jour / Où l’on entend trembler la paix » résonnent en lui, lui qui : « cherche à dire : le paisible écoulement, l’effacement consenti, l’acquiescement »(p.97), qui : « cherche à atteindre dans le poème, l’éclair qui embrase brusquement les mots » (p.67) car, malgré tout ce qui pèse, essayer de tendre à cette vérité de nos vies qui se manifeste et nous allège quand on pose les mots en signe de notre passage, quand l’acte d’écrire se fait louange et que « vivre c’est rendre grâce ».
Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte, La Coopérative, 2022, 176 pages, 21 €.
Un ouvrage qui se fait louange et action de grâce : « Merveille d’être au monde. Il suffit de cette tombée de la nuit habitée par une musique qui est louange. Comme si quelqu’un s’éveillait et reconnaissait sa demeure. La joie a pris le relais du jour qui s’en va. » (p.153)
Les mots pour dire les maux ou « toutes les passions tristes qui empoisonnent la vie ». Dire, pour se désencombrer, s’abandonner.
Un livre essentiel, y chemine un homme qui se livre comme le fit Montaigne. Grâce à l’expérience personnelle, la réflexion s’élargit sur le sens de toute vie, sur la place de l’homme au regard de cette terre habitée brièvement. On y goûte le futile et l’important, le superficiel et l’éternel ; grâce à une observation des éléments, à la lecture des auteurs aimés, grâce aussi aux regards d’artistes connus ou anonymes qui ont su transmettre le beau.
Comme pour Montaigne, des analyses psychologiques comme celle sur la tristesse. Le psychanalyste que fut Jacques Robinet les élargit et les rend universelles. La mort, la sienne qui approche et celle des êtres aimés, la dire et l’écrire pour se réconcilier avec cette peur et traverser de façon lumineuse cette expérience intérieure. Une différence cependant, Montaigne dans ses essais ne recourt pas à la foi et éloigne l’immortalité de l’âme de sa réflexion. Jacques Robinet lui, interprète cette expérience à la lumière de sa foi chrétienne. L’un et l’autre cependant font, de chaque instant vécu, un éloge à la vie devant l’immanence de la mort, pour tenter d’être capable comme le dit Montaigne de la « vivre à propos ».
Le livre illustre admirablement cette réflexion de Montaigne que pour chacun notre vie soit : « notre grand et glorieux chef d’œuvre ».
Toute expérience, y compris celle de la maladie, peut être source de louange car toute douleur donne de l’épaisseur à chaque rencontre, à chaque objet, à chaque élément de la nature, à tout ce qui nous est donné de vivre, de voir.
C’est tout un art de vivre que décline Jacques Robinet, pour celui qui peut être capable de plonger et son corps et son âme dans l’intemporalité.
Ici, pas d’exaltation, mais beaucoup de modération en toute expérience vécue ; une exception cependant, une tonalité plus exaltée pointe, lorsque l’auteur traite du sentiment amoureux, un lien affectif total, vécu en plénitude.
Parler de soi pour une ouverture au monde et aux autres.
Cette attention à soi est nourrie du plaisir que procurent les mots, la lecture, les voyages, la contemplation de la beauté qui est don de la nature et don fait à certains artistes touchés par la grâce.
Jacques Robinet écrivain, est touché par cette grâce qui fait naître la lumière de l’ombre. Cette grâce qui du silence, du « silence absolu » fait jaillir comme un point d’orgue à la fin du livre, cette prière de demande et d’intercession, quand on s’oublie et qu’il ne reste que l’amour, l’amour seul capable de s’adresser à celui dont on ne peut prononcer le nom, à celui qui n’est que lumière et « Amour offert depuis la création du monde ».
O Vous dont je retiens le nom au bout de ma plume, tant Vous débordez tout ce qui Vous désigne, gardez-le ; Vous qui êtes lumière et seulement amour, gardez-le toujours en Votre paix. Qu’il ne soit jamais séparé de Vous, celui que Vous m’avez confié autrefois, quand nous vivions tous les deux en nuit très profonde, sans savoir que Vous étiez là. (p.170)