Jacques Rouil, Les petites routes
Les petites routes de Jacques Rouil fleurent bon l’herbe mouillée, la pomme dans le courtil et le lait dans l’étable. Ici, les prés sont « Couleur de miel / Comme un tablier ».
Les automnes sont « immobiles » et, au loin, c’est « la bise qui chante ». Un pays est furtivement nommé : le Cotentin, terroir de l’auteur, du côté de Bricquebec et de Surtainville. Là où la mer et les « estrans de varech » ne sont jamais très loin de ces terres lourdes et grasses où l’on enterre les morts.
Jacques Rouil a chanté ce pays natal dans des romans ou des récits pétris d’humanité (Donadieu, Les Rustres, Une mémoire du bout du monde…). Il délivre ici, en mots comptés dans ses poèmes (parfois un seul mot par vers), sa vision d’un monde d’avant le déluge. D’avant le déluge technocratique, médiatique, informatique, boursier… Empruntant les petites routes de l’auteur - qui vont nous mener plus loin qu’on ne le pense – nous voici dans des espaces de liberté sous les pommiers, les noisetiers ou les noyers. Les gestes y sont lents (comme celui d’un père pelant une pomme de son verger).
Jacques Rouil, Les petites routes,
(nouvelle édition augmentée),
éditions Le Petit Véhicule,
180 pages, 25 euros.
De la nostalgie ? Sans doute. Mais, plus encore, un appel à garder intactes nos capacités d’émerveillement. Ah ! la gourmandise de l’auteur quand il s’arrête sur les mots « nénuphars », « libellules », « héros cendré », « roseaux »… Comment, en le lisant, ne pas penser à cet autre gourmand de mots : le normand Jean Follain, né natif de Canisy, au sud de Saint-Lô, « dans un pays coloré de pommiers », où « la dentelle, la robe et les bras blancs / sans souci de la mort / tachaient le bocage » (La Main chaude, 1933).
Sur les petites routes de Jacques Rouil, place à l’écoute, à l’intériorité, à la voix de l’enfance. Loin de nous la confusion, l’esbroufe ou les effets de manche. « La terre n’a ni de grandes auréoles, ni de devantures éclatantes : elle ne vit que de bruits et de silences », a écrit Michel Manoll, pilier de l’Ecole de Rochefort, dans son recueil posthume Une fenêtre sur le monde (1990). C’est tellement vrai ici, sur ces « petites routes » normandes.
Alors forcément « l’exil » est mal vécu. Jacques Rouil nous parle de sa maison de banlieue. Au cœur du jardin de poche qu’il entretient sur place amoureusement, il traque tous les signes de vie qui font écho à son pays natal : fleurs, oiseaux, légumes, fruits... Tout mérite d’être nommé car la vie n’arrête pas de nous adresser des signaux., même si le mal-être taraude son homme. Et que lui reviennent en mémoire –lui étreignant le cœur - l’enfance de ses enfants mais aussi la vie tortueuse des rescapés de 14-18 qu’il a connus dans sa propre enfance. Pour rehausser ce chant d’amour à un pays, à des gens, à des lieux, il y a les propres photographies en couleurs prises par l’auteur. Dans leur simplicité, elles disent à la fois la rudesse de la vie et la beauté du monde.