James Sacré, Par des langues et des paysages

Dans son adresse au lecteur, James Sacré dessine une perspective où redécouvrir/découvrir des poèmes qu’il a écrits entre 1965 et 2022 à Cougou, aux États-Unis, au Maroc, en Galice, dans le Languedoc et en Italie. Au-delà de ce qui est une traversée temporelle et spatiale, il annonce que nombre de ces poèmes sont accompagnés de traductions, en anglais par David Ball, en arabe par Abdelkader Hajjam et en galicien par Emilio Arauxo. Mais comme on le verra plus loin, il s’agit de bien plus que de la simple présence de langues liées aux lieux qui ont inspiré ces poèmes.

Choisis dans un long parcours d’écriture, ils sont des retrouvailles avec les espaces de prédilection du poète, ce qu’il a le don de faire jaillir à travers une couleur, des arbres ou encore le bruissement des feuillages. petits mot cailloux dans mon soulier c’est plus compliqué le bonheur que ce geste de jeter les restes. Ces poèmes ont été écrits en osmose avec les lieux, avec leur matière et ils émergent, tels les formes et les couleurs d’un peintre. On se fraye un chemin à travers des paysages. Le bleu du ciel éblouit et les épines des buissons infligent des éraflures. La ville brille au loin comme une bague dorée dans la main levée d’une femme, prélude à ce qui sera l’envers de la traversée. Parce que tout à l’heure cette ville aura son air de ville comme abandonnée à cause des papiers cartonnés qu’on trouve devant les magasins quand on passe par le marché désert. Les poèmes trouvent çà et là leur reflet dans des griffures, des marques. Elles peuvent être la ligne géométrique d’une poterie amérindienne, l’oblique d’une colline, la rugosité des lauzes sur un toit, ou damier des pâtis sur un flanc de colline. La terre s’écrit avec le poète, qui trace ses mots à même son flanc, à la face du ciel.

Il regarde, il contemple, se met à l’écoute des êtres, tout à leur rencontre. Emiliano, là-devant, avec sa ceinture de longues sonnailles autour du cou… dans son geste de me la passer autour de la taille, m’accueille-t-il dans une intimité de cette fête en Galice, ou s’il me fait savoir que ma maladresse signe mon statut d’étranger ?

James Sacré, Par des langues et des paysages (1965-2022), éditions APIC, 140 pages, 15 €

Et le poète de faire place dans ce livre à plusieurs de ses traducteurs, bien au-delà de ce qui serait juste une traduction placée à côté d’un poème pour permettre à différents lecteurs de goûter son double, transposé dans la langue d’un de ses lieux de prédilection. La dimension multilingue du recueil crée une mise en abîme de la traversée de ces frontières dont James Sacré a été coutumier tout au long de sa vie. Séjourner ailleurs, dit-il, c’était entendre d’autres voix, le bruit de leur langue dans les feuillées d’érables en automne, dans le tissu déchiré des eucalyptus. Il parle de son écriture, elle qui naît avec le bruit d’une langue qui est dans /son/ oreille. Il explique ce qui est emmêlement du proche et de l’inconnu, affirmant ainsi un élan vers ce qui est différent, le désir de découvrir, jusqu’à se fondre. De manière particulièrement intéressante, il envisage aussi la traduction comme un espace où continuent de se construire ses poèmes. Il pose ainsi la vertigineuse et passionnante question du cheminement des textes, leur passage d’un être à un autre, d’un espace linguistique à un autre.

Que le lecteur lise ou pas l’anglais, l’arabe ou le galicien, leur présence dans ce livre multiplie ces poèmes des chatoiements où se tisse notre humanité. Ils deviennent la part rendue visible et nécessaire de textes nés de la rencontre avec l’autre.

Présentation de l’auteur

James Sacré

James Sacré est d'abord instituteur puis part, en 1965, vivre aux États-Unis où il poursuit des études de lettres. Il y enseigne à l'université de Smith College dans le Massachusetts. Il fait également de nombreux séjours en France et ailleurs en Europe : l'Italie, la Tunisie, le Maroc. En 2001, il rentre en France et réside depuis à Montpellier. James Sacré commence à écrire dans les années 1970, en plein littéralisme. L'auteur a par ailleurs consacré sa thèse de doctorat au Sang dans la poésie maniériste. Il est très attaché au paysage, et à la géographie.  La mémoire joue aussi dans son oeuvre un rôle important : Les voyages sont l'occasion de repenser l'identité, l'altérité et la relation amicale ou amoureuse. La passion de l'auteur pour le Maghreb, donnant lieu à de nombreux voyages, donne aussi naissance à de nombreux livres. La poésie est alors animée par un désir d'ouverture et de chaleur, de coprésence heureuse avec l'autre. Elle cherche une manière heureuse d'être ensemble, qui laisse s'écouler le temps avec douceur.

Bibliographie

  • La femme et le violoncelle, J.C. Valin éditeur, 1966
  • La transparence du pronom elle, Chambelland, 1970
  • Cœur élégie rouge, Seuil, 1972
  • Comme un poème encore, Atelier de l'agneau, 1975
  • Paysage au fusil (cœur) une fontaine, Gallimard, Cahier de poésie 2 (collectif), 1976
  • Un brabant double avec des voiles, Nane Stern, 1977
  • Figures qui bougent un peu, Gallimard, 1978
  • L'amour mine de rien, Encre/Recherches, 1980
  • Quelque chose de mal raconté, enrichi d'une gravure d'Olivier Debré, André Dimanche, 1981
  • Des pronoms mal transparents, Le Dé bleu, 1982
  • Rougigogne, Obsidiane, 1983
  • Ancrits, Thierry Bouchard, 1983
  • Écrire pour t’aimer, André Dimanche, 1984
  • Bocaux, bonbonnes, carafes et bouteilles (comme), photographies de Bernard Abadie, Le Castor astral et Le Noroît, 1986
  • La petite herbe des mots, Le Dé bleu, 1986
  • La solitude au restaurant, Tarabuste2, 1987
  • Une fin d'après-midi à Marrakech, André Dimanche, 1988 - prix Guillaume-Apollinaire 1988
  • Un oiseau dessiné, sans titre. Et des mots, Tarabuste, 1988
  • Le taureau, la rose, un poème, dessins de Denise Guilbert, Cadex, 1990
  • Je ne prévois jamais ce que je fais quand je dessine, dessins de Jillali Echarradi, Les petits classiques du grand pirate, 1990
  • Comme en disant c'est rien, c'est rien, Tarabuste, 1991
  • On regarde un âne, Tarabuste, 1992
  • Écritures courtes, Le Dé bleu, 1992
  • La poésie, comment dire?, André Dimanche, 1993
  • Des animaux plus ou moins familiers?, André Dimanche, 1993
  • Le renard est un mot qui ruse, Tarabuste, 1994
  • Ma guenille, Obsidiane, 1995
  • Viens, dit quelqu'un, André Dimanche, 1996
  • Essais de courts poèmes, dessins de François Mezzapelle, Cahiers de l’Atelier, 1996
  • La nuit vient dans les Yeux, dessins de Jillali Echarradi, Tarabuste, 1997
  • La peinture du poème s’en va, Tarabuste, 1998
  • Anacoluptères, illustrations de Pierre-Yves Gervais, Tarabuste, 1998
  • Relation, essai de deuxième ancrit (1962-63 ; 1996), Océanes, 1999
  • Labrego coma (cinco veces), photographies d’Emilio Arauxo, Noitarenga, 1999
  • Si peu de terre, tout, Le Dé bleu, 2000
  • L’Amérique un peu, Trait-d’union, 2000
  • Écrire à côté, Tarabuste, 2000
  • Une petite fille silencieuse, André Dimanche, 2001
  • Monsieur l’évêque avec ou sans mitre, illustrations de Edwin Apps, Le Dé bleu, 2002
  • Mouvementé de mots et de couleurs, photographies de Lorand Gaspar, Le Temps qu’il fait, 2003
  • Les mots longtemps, qu’est-ce que le poème attend ?, Tarabuste, 2004
  • Sans doute qu'un titre est dans le poème, Wigwam éditions, 2004
  • Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime, Cadex, 2006
  • Broussailles de prose et de vers(où se trouve pris le mot paysage), Obsidiane, 2006
  • Âneries pour mal braire, Tarabuste, 2006
  • Un paradis de poussières, André Dimanche, 2007
  • Le poème n’y a vu que des mots, L'Idée bleue, 2007
  • Bernard Pagès : élancées de fêtes, mais tenant au socle du monde, La Pionnière/Pérégrines, 2009
  • Portrait du père en travers du temps, lithographies couleur de Djamel Meskache, La Dragonne, 2009
  • Paroles du corps à travers ton pays, poème de quatre pages accompagné de deux gravures sur bois de Jacky Essirard, Atelier de Villemorge, 2009
  • Le désir échappe à mon poème, Al Manar, coll. « Méditerranées », 2009
  • Tissus mis par terre et dans le vent, Le Castor astral, 2010
  • America solitudes, André Dimanche, 2011
  • Le paysage est sans légende, Al Manar / Alain Gorius, avec des dessins de Guy Calamusa, 2012, prix Max Jacob
  • Parler avec le poème, La Baconnière, 2013
  • Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, 2014
  • Un désir d'arbres dans les mots, en collaboration avec Alexandre Hollan illustrateur, 2015
  • Figures de silences, Tarabuste, 2018, prix Théophile-Gautier de l'Académie française et prix Roger-Kowalski ou grand prix de poésie de la ville de Lyon, 2019
  • Sans place et Je s'en va, avec Antoine Emaz, Montpellier, Éditions Méridianes, 2019
  • Quel tissu se déchire, Tarabuste, 2020
  • Broussaille de bleus, avec des dessins de Jacquie Barral, Le Réalgar, coll. « L'Orpiment », 2021
  • Figures de solitudes, Tarabuste, 2021
  • Brouettes, dessins d'Yvon Vey, Obsidiane, 2022
  • Une rencontre continuée, Le Castor Astral Poche poésie, 2022
  • Un rectangle de toile peinte est là, avec André-Pierre Arnal, Éditions du Bourdaric, 2022. Livre d'artiste. 17 exemplaires tous uniques signés par l'auteur et l'artiste au colophon.
  • Une fin d’après-midi continuée, trois livres “marocains”, Tarabuste, 2023

Poèmes choisis

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