La mort est un « fait qui se produit de façon toujours prématurée », nous dit Jaume Pont, en ouverture de son recueil Miroir de nuit profonde. C’est, ajoute-t-il, de cette « expérience de l’extrême » que sont nés la plupart de ces poèmes, puisés dans la matière d’une douleur indicible.
Si chaque être qui vient au monde est voué à inventer celui-ci, dès l’instant où il ouvre les yeux, il le fait dans l’ignorance de l’ombre qui commence déjà à le cerner, elle qui est porteuse de dévastation et de blessure. Illusion de la rose et du bleu, La vie / se défait / comme un grumeau de rêves. Au-delà du miroir, le regard se perd, leurré par la trajectoire qu’il se cherche en vain loin de l’enclos. Faudra-t-il accepter que jamais ne se referme tout à fait une blessure que n’apaiseront pas les hurlements dans la nuit profonde ? Les bœufs que nous sommes semblent condamnés à leur triste labeur sous les étoiles. Le poète esquisse pourtant les frontières d’un temps qu’il n’a pas connu et qui est encore à venir. Si l’obscurité l’enveloppe, il est néanmoins contigu de la lumière, tout comme existe ce chat aux yeux fendus par le silence, mitoyen d’un silence aux yeux de chat musqué. À tâtons, le poète rejoint les confins d’un autre versant, où les hurlements finissent par déchirer les ombres : De l’obscur, cependant, naissent l’autre lumière / et le verbe balbutiant de la beauté. Comme si la traversée devait nécessairement passer par la voix dans toute la nudité de son cri…
Jaume Pont, Miroir de nuit profonde, poèmes, édition bilingue catalan-français, traduction de François-Michel Durazzo, L’Etoile des limites, 104 pages, 17 euros.
À cheminer sur une sente désolée, le poète finit par croiser la mémoire, elle qui sait franchir les miroirs, ne serait-ce qu’un instant d’éclair. C’est à peine s’il entend ces voix / chargées de rubis et d’améthystes, / et le maillet du froid qui aboie à tous les vents, / la petite lueur étincelante /lui brûle le fond brumeux de l’âme/comme un foyer démesuré. Il n’est sans doute pas fortuit que Miroir de nuit profonde s’achève avec le poème intitulé « Les mots ». Si la vie est un mur de chaux dressé face à nous, si la douleur est d’abord un cri, les mots finissent par advenir. Eux seuls peuvent transcender la perte et l’absence. s’ils ne donnaient pas libre cours aux sources /et jamais ne revenaient aux sources les plus profondes, si le fleuve dans lequel on se baigne /était toujours le même fleuve, luisant, ombreux, inaltérable à la lueur de l’âme, / quel fou, dites, voudrait d’eux ? Jaume Pont salue ainsi la rose du poème, lui qui naît sur une langue pleine de feu. Le poète nous offre ici un recueil d’une incandescente beauté, magnifiquement porté par la traduction de François-Michel Durazzo. Le Prix Mallarmé étranger de traduction 2023 a été décerné à Miroir de nuit profonde.
Présentation de l’auteur
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