Je t’écris fenêtres ouvertes
Parler de toi, te choisir un prénom, te nommer.
Te nommer pour pouvoir parler de toi en ton absence, pouvoir te signifier, comme si je te savais. Pouvoir de signifier, de discourir sur toi, en jouir à l’envi.
Te nommer pour te faire exister, et te faisant exister t’aliéner.
Te désigner d’un mot, et d’un mot te soumettre. Faire de toi chose ma chose, marquer mon privilège Te réduire à un mot
T’assommer de ton nom
T’abolir, contre le mur du on
Ne plus parler de toi
Mais parler avec toi
Mais pas encore à toi
Et puis parler à toi. A ce toi qui ne saurait être un ‘on’ ou un ‘il’ mais un ‘tu’. Te parler vrai enfin. Sans rien anticiper. Te laisser toute liberté de dire, nul devoir de réponse.
Te laisser être ‘tu’, être ce ‘tu’ qui dis.
Te donner la parole. Une parole d’amour.
*
Un bras enveloppant la tête
cette tête
Une main agrippant les cheveux
l'autre main
Et ce regard baissé
Porté vers le silence
Tendresse blottie dans l'intérieur
*
Les illusions bercent, c’est souvent ainsi que le sommeil peut venir. Mais parfois il ne vient que très tard, longtemps après que la nuit ne se soit refermée sur elle-même. A l’heure mauve. L’heure qui tremble. L’heure dans laquelle tu te sens misérablement nue, exposée. L’heure qui ne sait pas elle-même si elle est la dernière de la nuit ou la première du jour. Mais peu importe, elle est.
Elle est l’heure qui parle. Sans mot, mais d’une voix aimante. Tu peux aller dormir le jour va se lever, semble-t-elle te dire, je t’offre un fragment de nuit contre une éclipse de mémoire. Et d’un mouvement ample et bienveillant te recouvre de son manteau mauve de sommeil et d’oubli.
*
Un silence en forme d’arbre ou de nudité je ne sais pas Je t’écris fenêtres ouvertes sur la nuit en attendant que s’ouvre l’arbre ou que se dévoile la plaine Cette nuit est trop chaude pour un homme qui marche depuis longtemps trop transparente pour un homme nu trop enveloppante pour un solitaire Le monde ne sera plus le même.
Sans doute en va-t-il ainsi de toutes les mains et de toutes les peaux et de tous les corps que l’on a frôlés ou caressés il arrive un moment où on ne les a ni frôlés ni caressés Désormais c’est comme si je n’avais jamais frôlé ni caressé Le monde n’est déjà plus le même.
(Extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes, La Boucherie Littéraire, juin 2017)
*
Combien longues et oblongues ces heures du secret où la nuit nous confond. Où les corps co-errants chamboulés de sommeil se diluent. La nuit sauve l’amour, un peu, elle qui sait que la femme n’est pas Une et que l’homme aussi peut gémir.
Je me tais
Se tenir. Juste écrire. Des cieux obscurs cernés de vide aux aubes craquelées, juste écrire. Presque dire, ne pas dire. Laisser la plume aller. Laisser surgir le mot qui dit et qui traverse. Libérer, sous le vent. Inspirer. Emporter. Jusqu’à fendre la houle et défaire et le sang et le temps.
(Extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes, La Boucherie Littéraire, juin 2017)