Jean-Albert Guénégan, à Triste en Corbière
Tristan, me voici c’est moi. La perpétuité a fait s’évader ton âme de ce livre de pierre dont je devine à peine les noms de ceux qui ont tourné ses pages. Des barreaux, un grillage repeints en vert déjà rouillé. Le temps a passé les menottes aux lettres de ton nom mais pas le garrot à mes veines. Mords ça. Ca quoi ? Ce monde que tu as mal habité.
Là en bas c’est comment ? Trop exigu pour jouer l’artiste. Trop noir pour te moquer encore.
Correspondre avec toi me brûlait l’âme et les doigts depuis longtemps. D’un feu très vif au-delà du temps. Te dire que je te lis et même, te relis fréquemment. Qu’à chaque lecture, je te redécouvre sans prudence fort de plaisirs inégalés. Je puise dans tes vers quelque chose de nouveau, d’inexploré, d’audacieux, de novateur, de vertigineux, d’encore plus amer qui me surprend, m’interpelle et me sublime. Mes sensations jaunissantes ne sont jamais les mêmes. Les images réductrices et martyrisées que tu donnes de toi, ce duel, ce gouffre, cette joute entre le néant et le géant, entre soi et soi, me concerne. Qu’après tout ce temps et bien que je ne puis être qu’à ma hauteur, comment être à la tienne, c’est comme si nos univers si différents se rejoignaient pour ne plus faire qu’un.
Flane sur mes vers que je rêve sur les tiens !
Plante tes mots dans le bec des gens de terre, les gens de mer ne sont pas à mettre dans le même sac. A la fois dans la vie et à côté, elle n’était pour toi qu’un échantillon. A moins que ce ne soit la vie qui fut malade. Elle n’est pas toujours à la place qu’elle devrait être. Je le crois puisque tu as écris qu’on t’a manqué ta vie. Bien plus tard, un autre poète écrivit Ma vie sans moi. Qu’est-ce qui pousse et raccroche ces artisans du vers, de la beauté, ces apôtres de l’âme en rut à être à la fois dans le in et le off de la vie ? Il lui arrive d’improviser et de faire des embardées. Elle t’a condamné par contumace, tu lui as laissé tes détresses en forme d’amours teintées de jaune sur fond noir. Tu es un poète total et je l’avoue humblement, peu nombreux sont les poètes qui m’ont autant exalté. Ne vois ici aucun esprit morlaisien épris de chauvinisme.
Simplement te dire qu’à force de te considérer comme rien, ni beau ni bon, de te railler, de te caricaturer toujours vers le plus bas et au-delà du tolérable, tu es devenu non un mousse mais quelqu’un. Un Monsieur pauvre de tout et de toi-même mais riche de ton écriture. Je t’écris de ta ville dont tu n’as rien dit. A croire qu’elle ne t’a inspiré que des lettres, la maison Bourboulon, le Launay et Coat-Congar. Une missive tâchée de spleen baudelairien, pour te dire qu’il m’est impossible de t’oublier. Et pourquoi ? Te dire aussi que les démons ruminés au point de te ronger sont partagés par-delà les certitudes de l’humaine piste et, même si l’art ne t’a pas connu, même si tu n’as pas connu l’art, je m’incline devant ta poésie criante de talent et de vérité.