L’audace aussi bien formelle que thématique est au coeur de ce nouveau livre de Jean-Charles Vegliante. Ce recueil se pose d’emblée comme lieu inhabitable.
Un essai de haler le bâtiment après le naufrage, et quelques morts de plus (ceux de janvier 2015, et la suite), nous avertit d’abord la voix poétique à la première personne. Long texte pour mémoire et de la mémoire, qui se redouble pourtant d’un chant ultime. Mais aussi, constat accusateur qui amène jusqu’au souvenir poignant et tendre d’un jeune Rimbaud et à ce bref explicit : « déserte », à la fois adjectif féminin et injonction d’un impératif absolu, dépassant certainement les limites de rédaction du poème et ses destinataires désignés, ces jeunes gens tentés par un certain jihadisme, dont la suite des événements a montré hélas la fermeture sans lueur d’espoir. Dans l’apaisement formel, voudrait-on croire encore (quatrains, quintils, sonnets s’organisent ici en suites raisonnées), un soupirail s’ouvre peut-être malgré tout, hors de la densité parfois presque étouffante du tissu verbal, loin des vieilleries d’une expérimentation aride de fin du XXe siècle, vers un horizon minuscule, notre infini, où subsiste et redevient possible « ce qui passe et ne veut rien / les prés les bois l’herbe l’eau les pierres le vent » (Derniers jours — d’été).
Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir par Joëlle Gardes
Publié le 05 mai 2017 par Angèle Paoli sur Terres de femmes
Qui effectivement voudrait se tenir dans ce ” noir ” où on se déba[t], en plein soleil “, comme le dit le dernier poème du recueil Où nul ne veut se tenir de Jean-Charles Vegliante, et dont le dernier vers résume la tonalité : ” comme si une boue basse nous tenait “. Nul ne veut s’y tenir et pourtant il le faut, et il faut ” oublier l’effroi, / et l’injustice, qui sera toujours là “. Si, dans le ” Journal en vers “, rédigé en mars 2015, qui clôt l’ensemble, l’injustice naît du mal des ” semblables ” qui ” traitent, vendent, tuent le bétail humain […] mettent en scène égorgements, bûchers, crachats, destructions avec une exquise maîtrise des codes “, elle est plus fondamentalement notre condition d’êtres soumis au temps. C’est dans la réflexion sur l’érosion à laquelle nous ne pouvons échapper que réside l’unité de ce recueil fait de plusieurs parties. Se succèdent ” Avant-scène “, ” Suites_survie “, ” Après “, ” Sonnets pour ne pas pleurer ” et ” Journal (en vers), 2015 “. Le passé y est le plus souvent convoqué, avec le souvenir, celui de l’enfance qu’il faut ” déglutir “, celui de la femme aimée (“ il me semble avoir encore au bout des doigts / la soie de ta peau vivante ”), celui des amis dont on s’éloigne ” dans le son d’un été ” :
Le passé sans fin nous déchire alors
ce matin tout le passé nous bascule
en arrière vers la fosse bleue
le museau effrayant d’être bête.
celui des disparus : ” tu n’es plus rien que ces fines particules “. Nous ne pouvons empêcher qu’ ” affleure en nous des fois un rauque langage d’avant. ”
Ce recueil est profondément — et c’est son grand intérêt — une méditation d’homme dans sa vieillesse : ” ainsi sommes-nous vieux / sommes-nous “, dans un ” corps en morceaux qui commence à partir sans moi “, dit le poète. Qui est donc en définitive celui qui survit, qui abrite en lui un ” toi ” qui ” ne [nous] aime pas au point de partir avec [nous] ” ? L’adversaire auquel s’adresse une série de quintils, c’est le ” petit cancrelat / de l’âme ” et cet autre qui nous habite :
ou bien c’est comme en soi noyée de silence
Joëlle Gardes
D.R. Texte Joëlle Gardes
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