Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir 

Par |2018-03-04T17:30:14+01:00 2 mars 2018|Catégories : Jean-Charles Vegliante|

Sur l’o­rig­i­nale cou­ver­ture des édi­tions La Lette volée – un fond rouge dont seul le liséré encadre la page de garde d’un livre ouvert (au dos de laque­lle se devi­nent, comme un palimpses­te, les car­ac­tères inver­sés du pre­mier poème), en let­tres rouges; le titre : et la promesse au lecteur d’une inten­able posture !

Quel enfer, d’où cha­cun souhait­erait s’en­fuir, se pré­pare-t-il à vis­iter en ouvrant le recueil, au dos duquel, en écho, il décou­vre l’ironique impré­ca­tion déclinée en prière à la Prévert :

Ce matin aus­si, Dieu, Grande
Mère ou qui d’autre, Lapin 
écorché, je vous supplie
de nous oubli­er – négligeables 
et las de subir, de contempler
l’inu­tile beauté, d’avoir
mal, n’avez-vous pas mieux
à faire ? –
entre vous dans la cour du ciel ?

Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir

Jean-Charles Veg­liante, Où nul ne veut se tenir,  La let­tre volée | La riv­ière échap­pée, Col­lec­tion « Poiesis », 2016.

L’hu­mour, mêlé au dés­espoir de vivre ici et main­tenant, irrigue les cinq par­ties d’un recueil, où les vari­a­tions sur des formes fix­es tra­di­tion­nelles (son­nets, qua­trains, quin­tils…) sont bous­culées par une grande moder­nité, dans la syn­taxe, la métrique, et le traite­ment des thèmes.

Au fil de la lec­ture, out­re les nom­breux poètes cités dont les vers sont inté­grés au pro­pos (Celan, Pasoli­ni, Dante, Vil­lon, Baude­laire, ou Laforgue… ) et ceux à qui cer­tains poèmes sont dédiés, le lecteur ren­con­tre — et ce n’est pas le moin­dre plaisir de ce par­cours — des échos – clins d’oeils, semi-cita­tions — qu’on peut débus­quer / devin­er, telle, j’imag­ine, dev­enue ici “Cette fois sûre­ment la dernière qui / ne revient sûre­ment pas; (…) “, l’ ”Artémis” de Ner­val, dont La Treiz­ième revient… C’est encor la pre­mière ; / Et c’est tou­jours la Seule”

Quel fil suiv­re dans ce recueil foi­son­nant, presque labyrinthique, dont la lec­ture n’épuise pas la richesse des échos qu’il sus­cite? Pour ma part, je me pro­pose, en sec­onde lec­ture, d’ac­cepter l’in­vi­ta­tion faite dans le pre­mier des “Son­nets pour ne pas pleurer” :

On peut com­mencer par là si vous voulez, 
à mi-page comme pour un poème 
qui va et qui vient dans le temps du sommeil 
comp­té pour­tant et ne sachant décevoir

Le poète inlass­able­ment ques­tionne la con­science altérée du demi-som­meil ou du rêve. On l’imag­ine prédes­tiné peut-être par son nom ital­ien, cette forme ver­bale désig­nant le “veilleur” – celui qui accom­pa­gne la nuit, ou la mort, qui l’ar­pente, physique­ment ou en médi­tatif chercheur de mys­tère. En sa com­pag­nie, dans cet enfer de la mémoire, comme Dante avec Vir­gile peut-être, le lecteur voy­age dans des sou­venirs à demi-celés, com­posant une réflex­ion sur le temps qui passe.

Tout dans cet ouvrage rap­pelle – au sens pre­mier du terme — l’ab­sence, et la perte: ain­si ce vers en mémoire d’un amour dis­paru dans les “Quin­tils d’un adver­saire” : “j’ai sur les lèvre le vide où tu étais”. Au long de prom­e­nades som­nam­bules, dans des paysages urbains sus­ci­tant des nota­tions sen­sorielles vives et d’une grande beauté, se con­stitue une sorte de Memen­to Mori résumé par la mag­nifique image visuelle et sonore qui clôt le poème, p. 51, avec cette évo­ca­tion : “Des mouch­es bleues obsè­dent l’après-midi”.

C’est pour­tant apparem­ment la recherche d’un temps cir­cu­laire que pro­pose cette écri­t­ure vouée au som­meil qui rêve en marchant, et qu’on est ten­té de lire par boucles récur­rentes : ain­si le “Déjà encore une fois début d’hiv­er” et le “petit arbre d’an­tipodes” de “La Marche à nou­veau” (p.25) – suite d’in­stan­ta­nés liés à la déam­bu­la­tion — où l’in­cip­it des poèmes (p. 43 et 44) soulig­nant le lien entre rêve et retour du temps et des disparus… :

Quand je rêve au moins je me dis que je dors
Je marche dans la chaleur blanche du goudron (…)

Encore le long (du noir)
Je crois que je dors et que, tout en dormant
j’es­saie de te rejoin­dre, là où tu es (…)

Les poèmes de Jean-Charles Veg­liante hantent la mémoire de qui les lit, comme des com­pagnons d’un rêve venu de loin, à tra­vers d’autres lec­tures, d’autres rêves, d’autres sou­venirs. Et l’on espère que ces mots du “jeune Yeménite” s’ap­pliquent aus­si à ce parcours :

(Si tu l’as pen­sé c’est que tu as bien lu :
Mer­ci pour l’ac­cueil, d’où que ce soit venu)

Présentation de l’auteur

Jean-Charles Vegliante

Né à Rome, Jean-Charles Veg­liante enseigne à la Sor­bonne Nou­velle — Paris 3, où il dirige le Cen­tre Inter­dis­ci­plinaire de Recherche sur la Cul­ture des Echanges

Tra­duc­teur de Dante (prix Halpérine-Kam­in­sky 2008) et des baro­ques, il a pub­lié en 1977 une antholo­gie française de la poésie ital­i­enne de la fin du XXe siè­cle : Le Print­emps ital­ien, (bilingue) et traduit Leop­ar­di, D’An­nun­zio, Pas­coli, Mon­tale, Sereni, For­ti­ni, Raboni, A. Rossel­li, M. Benedet­ti et d’autres poètes ital­iens. Il a édité les textes ita­­lo-français de De Chiri­co, Ungaret­ti, A. Rossel­li, Magnelli.

Il est l’au­teur de D’écrire la tra­duc­tion, Paris, PSN, 1996, 2000.

Jean-Charles Vegliante

Sa poésie paraît en revue (Le nou­veau recueil, Le Bateau Fan­tôme, L’étrangère, Almanac­co del­lo Spec­chio) et sur le net (Recours au Poème, for­maflu­ens, Le parole e le cose) ; par­mi les titres pub­liés en vol­ume : Rien com­mun (Belin), Nel lut­to del­la luce / Le deuil de lumière (trad. G. Raboni, bilingue Ein­au­di 2004), Itin­er­ario Nord (Vérone, 2008), Urban­ités (Paris, 2014), Où nul ne veut se tenir (Brux­elles, 2016).

Il a édité une nou­velle ver­sion de Dante Alighieri (La Comédie, bilingue) dans la col­lec­tion Poésie chez Gallimard.

Autres lec­tures

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Lecture de Amont dévers de Jean-Charles Vegliante

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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021

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