Frères Humans qui après nous lirez, 
n’ayez les cœurs trop durs mais Let it be !
Et si de nous pau­vres vous recordez
nous serons là en vers vivants così :

 

On s’éveillerait d’un limon maternel
(quelqu’un se sou­vient peut-être en quelque lieu 
de : l’ amour, atome épars, fera frémir)
on aurait dor­mi au fleuve irréversible
on serait sans épais­seur inconciliable,
comme la note unique lancée au ciel :
plume peut-être
lune

 

 

Genesis

 

Quand l’ aucunelangue suff­i­sait à faire
la paix entre les mem­bres du clan unique, 
peureux dans la ride-val­lée de leur terre
dont per­son­ne ne sor­tait – ou pour la fuite 
défini­tive par­mi les monts-de-mort,
il n’y avait nul besoin de se parler :
les yeux et quelques gestes nous apaisaient. 
Le souf­fle était pour la braise, et vivre encore, 
le gron­de­ment dan­ger ton­nerre combat,
les lèvres scel­lées gar­daient leur secret rouge. 
Les pre­miers à par­tir ne surent pourquoi. 
Notre petit pays fut comme une bauge
où l’on se retour­nait sur les mêmes pas.
Hors du val­lon, les pre­miers mots interrogent : 
                                     – est-ce babel, ce chas ?
                                     – toute langue s’arroge ?
                                     – ne recon­naît-on pas ?

 

 

 

Bab’el, la porte du ciel

 

Assez traduit, assez trahi, laissez-moi
le silence entre les mots, ce qui redit
ce qu’évoquaient les mots, leur insuffisance,
la matrice obscure, basse sous la tour,
d’où ils provi­en­nent sans savoir, sans le dire
le détru­ire en leur proféra­tion. J’aspire
au mur­mure dis­per­sé (bis) par le vent
qui mur­mure (bis-bis) pour ne pas mourir ! 
Dans la terre qui lange les mots (bis-dis)
s’effaceront les blessures de Palmyre, 
ger­mineront les gra­vats comme des vers.
Les assas­s­inés par­leront dans le bruire
du soir quand même les volants sont sans voix. 
Les mots (bis) humil­iés, sans bouche vivront !

 

 

Toujours

 

L’homme jeune demande qui il est.
Nul ne peut répon­dre. Il cherche le plus loin 
pos­si­ble, chez l’autre, au bout du sexe, là
où il n’y a pas d’issue, il veut rejoindre, 
désir orig­inel, sa conception,
la mère pre­mière où il s’abîmera.
Il sait qu’il est un humain, la sphinge un monstre,
la Reine ce pou­voir, relais à étreindre,
quitte à tout per­dre et soi-même enfin trouvé. 
Enfant trou­vé, enfin per­du, libre enfin :
voir à l’intérieur, que les mots démontent.
Au bout est la Reine, la rien, la réponse…
Un jour il est vieux, plus aveu­gle qu’avant,
et ne sait com­ment le temps l’a berné.

 

 

 

La nuit longue

 

La nuit a été longue. Au jour nous voilà, 
essayant de ne pas pleur­er sur nous-mêmes. 
Une fleur, une flamme écla­tante, un simple
cri jaune feu, vac­il­lante vie surprise
par l’aube : hibis­cus du 14 novembre.
La nature nous con­sole indifférente ?
Les humains se ser­rent autour comme avant. 
L’eau coule lus­trale mater­nelle (ma’ !)
sur le corps vieil­li, couturé çà (et las),
mais vivant – vivant – et si reconnaissant
par son sim­ple cri, la peau, son goût de cendre. 
Tout est un ‘bis’ pour ce jour de plus, commun. 
(Ne te retourne pas, n’essaie pas d’entendre
le souf­fle pro­fond d’Hadès, le noir suspens.)

                                           (14 novem­bre 2015)

 

 

Une voix s’entend à Rama

 

Passe à présent par les nues le cri de beaucoup 
d’enfants. Des vau­tours invis­i­bles les emportent 
peut-être dans le vent d’Est qui vient de Palmyre, 
dans le vent du Sud tunisien où tant s’effondrent,
où le désert sem­ble annon­cer les flots amers 
des prochaines tra­ver­sées vouées au naufrage.
Quand les mères même doivent choisir lequel 
laiss­er gliss­er sans un cri de leurs mains de cire, 
les pères se résign­er à la honte d’être
sur­vivants prêts à obéir où l’on voudra.
Mais on entend de plus loin aus­si ceux qui n’ont
vécu que sous l’épouvante des massacreurs :
ils leur appre­naient en riant com­ment détruire 
pour ne pas suc­comber, pas être pris, pas croire.
                                        – Pas choisi d’être là ! 
                                        – Pas voulu votre nom,
                                            ni notre faible cœur.

 

 

 

Schibboleth

 

“Ne par­lez pas comme ceux que vous tuez !”
Ne par­lez pas la même langue que nous
au moins, ne salis­sez pas dans votre bouche 
de bouch­ers les mots qui ont servi à dire
la rose et la peau cachée, les dents de lait, 
notre légère ivresse de liberté
et le fuyant récon­fort d’autres sourires. 
Reprenez votre idiome de miel glissant.
Ne nous acculez pas à cette défiance
entre proches, qui fai­sait juger d’un mot,
au pas­sage du Jour­dain – vie sauve ou mort – 
sur l’infime dif­férence entre sh- et
sch- (drap con­solant ou couteau à la gorge). 
Ne proclamez pas la haine qui dévore.

 

 

 

Fragment du lac asséché

 

Ils ne seront ensevelis ni pleurés… 
…  dans quel entrelacs tu te débats,
quand les murs s’écartent tu es exposée
aux injures de la foule…
Leur charogne sera nourriture
pour les pré­da­teurs du ciel, les bêtes de la terre

“C’est la pre­mière fois que nos entretiens 
se ter­mi­nent dans les larmes.”
Cette voix nous écrase con­tre terre 
radicale

… aux crachats…
… sans l’haleine du Vivant 
sans lit de chaux

 

 

Ils ont tué l’archéologue

 

Ô cités de l’Euphrate !
Ô rues de Palmyre !

F. Hölder­lin

 

Il a ses yeux de dor­mant, par­le au vent de la nuit :
J’ai aimé la petite fille que tu étais
et la très jeune femme que je n’ai pas connue.
Les rêves ne présen­tent plus que d’infimes restes
– Mais pourquoi ces pho­togra­phies jaunes nous éprouvent ? 
Pourquoi ne croyons-nous plus à nos corps triomphants ?
 la beauté de pierre et de bronze résiste moins…
Nous habitons des lieux étranges, que l’air déleste, 
cha­cun s’efforce d’oublier l’horreur qu’il a faite.
Lui est un vieil homme à présent, il classe les nues : 
– Quand tu me retrou­veras, “caro nova fiet”
quand in die irae serons là réunis. –
Le monde atroce chas­se, dévore ses enfants.

                                             (D’un recueil en cours d’écriture)

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