Jean Dupont, Avec la mort à bicyclette

Par |2022-05-07T08:52:10+02:00 7 mai 2022|Catégories : Jean Dupont, Poèmes|

 

Pré­ci­sion sur la typographie

         Dans ce texte, les apos­tro­phes sont util­isées pour ajouter ou enlever un « e » muet quand je l’estime néces­saire pour le respect de l’octosyllabe. Lorsque l’apostrophe précède un « e », il est ajouté : « Seul’e le soleil’le nous voit ». Ici, le vers compte 8 syllabes.

Lorsque l’apostrophe au con­traire est mise à la place d’un « e » muet qui serait atten­du, comme dans : « J’avanc’ tou­jours au bord de l’eau »

On prononce bien « J’avance » et non « J’avanc », mais on ne dis­tingue pas le dernier « e » comme une syl­labe à part entière, on prononce « J’a‑vance » en deux syl­labes comme à l’oral, et pas « J’a‑van-ce » en trois syllabes.

 

∗∗∗

Elza : Passent les jours et les années
Sur leur bicy­clette légère
Regarde ta vie s’en aller
Pourquoi vivre

J’ai fait le compte et le décompte
Des quelques moments qu’il me reste
Les deux trois décen­nies passées
Ce que je pour­rais espérer
Et tout ce que je n’ai pas eu
Ce qui n’arrivera jamais
Qui n’arrivera jamais plus
Tout ce que je n’ai pas vécu
Pèse plus lourd je vous le jure
Que les quelques pau­vres plaisirs
Retrou­vés dans mes souvenirs
Les tiroirs de mes souvenirs
Presque vides
Pourquoi vivre

Pourquoi lut­ter entretenir
Le jardin où ils ne sont pas
Les fruits pour­riront sur les arbres
Seul’e le soleil’le nous voit
Ma jeuness’ qui attendait là
Per­sonn’ per­son­ne ne l’a prise
Offerte ouverte à bout de bras
Sur tout’s les branch’s de tous les arbres
Ça fait si mal’e de le dire
Je voulais que quelqu’un m’embrasse
Me délivre
Pourquoi vivre

Main­tenant l’été est fini
Les fruits ont pour­ri sur les arbres
Ça fait si mal’e de le voir
Plus per­son­ne ne va venir
Des gens mouraient le ven­tre vide
Les jour­naux par­laient de famine
Et tous les fruits pour­ris­saient là
Offerts ouverts à bout de bras
Oh que tout cela est stupide
Si stupide
Pourquoi vivre

Mon corps est une mai­son vide
Per­son­ne ne se souviendra
Il n’y a pas d’enfants qui rient
Pas de grands-par­ents qui cuisinent
Le four ne cuit aucune tarte
Et même les araignées partent
Triste triste
Pourquoi vivre

Mon corps est une mai­son vide
Per­son­ne ne se souviendra
Aucun lycéen ne s’y cache
Invite ses amis à boire
Ou passe ses journées à lire
Lorsque l’école le fatigue
Le silence a rongé le bois
Mieux que n’auraient fait les termites
Les gens qui passent devant moi
M’appellent par des noms jolis
Masure Épav’ Bicoque Ruine
Une ruine
Pourquoi vivre

Avec la mort à bicyclette
À bicy­clette au bord de l’eau
Retournons donc à la rivière
Où ne passe pas un bateau
Avec la mort à bicyclette
À bicy­clette au bord de l’eau
Au bord de l’eau de la rivière
Où coulent aus­si les vélos

La vie depuis un bon moment
M’a dépassé sur son vélo
Je ne vais plus la rattraper
Je pleure mêm’ quand il faut beau
Passent les jours et les années
Sur leur bicy­clette légère
Regarde ta vie s’en aller
La mort pédal’ juste derrière

Pen­dant ce temps moi je me traîne
Je me sens ridicule et faible
Et plus que vain­cue humiliée
Presque souil­lée à chaque fois
J’sais pas com­ment vous expliquer
Que mes deux genoux me font mal
Chaque fois un peu moins vivante
La mort pédal’ juste derrière

Je regarde le défilé
Fusant sur les vélos légers
Des garçons et des jeunes filles
Comme un petit feu d’artifice
Un feu d’artifice vivant
Une giboulée de moineaux
La joie c’est de ne pas comprendre
Le mal­heur vient bien assez tôt  

Passent les jours et les années
J’avanc’ tou­jours au bord de l’eau
J’espère tou­jours rattraper
La vie si il passe un bateau  

Présentation de l’auteur

Jean Dupont

Jean Dupont est né dans un mimosa en fleur dans la ban­lieue Est de Paris. Il n’a pas trop étudié, ni tra­vail­lé, ni fait grand-chose, ni vu grand-chose, ni même grand monde, ne lui deman­dez pas de cv s’il vous plaît, ça le fait rou­gir. Mais il a beau­coup fréquen­té les gar­dons et s’est posé très sérieuse­ment l’épineux prob­lème de l’introduction des pois­­sons-chats et autres espèces sil­u­ri­formes dans les eaux douces européennes. Cepen­dant, le cours du temps étant aus­si inéluctable que celui des riv­ières, Jean Dupont dut grandir un jour et quit­ta son petit bras d’eau. Sur son chemin, son vélo s’arrêta dans les forêts du Mor­van où il ren­con­tra deux énormes arbres, un chêne et un hêtre, aux pris­es dans un très lent com­bat, qui lui demandèrent d’arbitrer leur affron­te­ment et d’en tenir la chronique pour tous les habi­tants, ani­maux, plantes et insectes du vil­lage. Ain­si apprit-il à écrire. Il vit aujourd’hui de la générosité de cette petite com­mu­nauté où il occupe la fonc­tion d’amuseur tout en con­tin­u­ant, bien sûr, d’écrire ses petites chroniques.

Bib­li­ogra­phie 

  • Écri­t­ure de plusieurs pièces de théâtre.
  • Pub­li­ca­tion dans le numéro 16 de l’illustre et mer­veilleuse revue du Cafard Héré­tique de textes issus de ma pièce L’amour au pre­mier regard.
  • Pub­li­ca­tion à venir dans le numéro de mai de la revue Recours au Poème d’un texte issu de ma pièce Avec la mort à bicyclette.
  • Dra­maturge sur le spec­ta­cle Plongée d’hiver, tiré de ma pre­mière pièce, et représen­té à Brux­elles en févri­er 2022 dans les locaux de l’association Quai 41 dans le cadre d’une sor­tie de résidence.

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