Vu, vécu, approuvé
Dix poèmes inédits
Un petit nuage est arrêté en plein ciel
comme ce qu’il reste d’un cri dans la gorge.
A peine commencée la saison ne sait plus où aller
et me laisse incertain dans son incertitude.
Mais l’essentiel a peut-être été dit,
crié avant que le temps n’ouvre ses autres portes
à des ciels de plus en plus transparents
d’où tomberont des ailes fatiguées.
Ce furent des jours,
encore des jours,
et des nuits peut-être
mais vécues entre des parenthèses
légères comme des rideaux
qui s’écartent avant d’avoir rien retenu.
Il s’habitua à vivre sans rêves,
presque sans sommeils
dans le poing toujours serré sur lui de la lumière.
S’il allumait une cigarette,
il n’en regardait que la fumée légère
où sa vie oubliait un instant
qu’elle devenait une pierre.
Une feuille, morte avant nous,
flotte d’un bord à l’autre du vent.
Nous lui envions sa légèreté
que notre vie ne nous accorde pas,
même si nos jours, nos nuits
sont des feuilles, mais, elles,
alourdies de pluie
et qui tombent de l’arbre au sol
tout droit comme s’il
n’y avait pas de vent
pour les aimer.
Je regardais le feu
vivre du bois qu’il faisait mourir
et la neige tombait sans amasser
du silence sur le toit,
comme si rien ne pouvait poser
la paix sur le monde.
Un murmure aurait déchiré la voix,
mais se taire
ne faisait pas taire la mémoire
acharnée à creuser son chemin
vers le souvenir des morts
qui n’étaient morts qu’après la souffrance,
comme le bois dans le feu.
Et vint l’été qui m’arracha
les ombres dont je faisais mes poèmes.
L’été violent.
En bas moins d’herbe que de pierres,
en haut un ciel que le bleu ne calmait pas.
Où que j’aille,
je trouvais la lumière
sans porte à ouvrir sur de l’inconnu.
Elle avait effacé tous les rêves
avant qu’on les rêve.
J’ai demandé à l’horizon
qu’il libère les chevaux
qui étaient allés mourir au-delà de lui.
Qu’ils reviennent où je les attends,
avec ce galop de silence
qui est désormais le leur
et ne réveille pas les pierres.
Il y a ici la nuit et l’herbe des rêves
dans un pré où j’irai les caresser
comme quand j’étais enfant,
comme s’ils étaient vivants.
Ils ouvriront vers moi leurs yeux aveugles
qui ne voient que les souvenirs.
Quand tu t’en vas derrière tes yeux,
ce n’est ni pour dormir ni pour oublier.
C’est pour t’égarer dans la nuit où
l’on ne trouve ce qu’on cherche qu’en s’égarant.
Les chemins de l’ombre sont plus nombreux
que ceux du jour, et eux tu les as parcourus
sans jamais rencontrer personne
capable de t’offrir des mots
auxquels tu aurais aimé répondre.
L’ombre, elle, aime que ton silence
réponde au sien.
J’aime regarder
le vent qui ne se voit pas,
j’aime poser les pierres
sur la peau de l’eau
pour qu’elles y disparaissent,
j’aime feuilleter les pages
dont la blancheur en dit plus
que les mots qui y sont écrits,
j’aime que le vide, en tout, tienne
la porte ouverte à qui ne veut que partir.
Faire à pied
le tour de l’instant heureux
pour qu’il dure,
et me laisse le temps
de poser mes mains
si loin de moi
que l’angoisse jamais
ne pourra plus les serrer
sur ma gorge et
les mots qui voudraient crier.
J’aimerais que quelqu’un m’attende
comme un poème lu
sur la page
encore blanche