Jean-Louis Rambour, 33 poèmes en forme de nouvelles (ou l’inverse)

Voilà des brèves de poésie, à moins que ce soit des nouvelles comme le titre l’indique… on verra qu’il s’agit plutôt d’« anciennes » : les textes ont une couleur passée, celle d’une nostalgie des temps anciens, ceux des grands parents plutôt que des parents, qu’illustre ce passage :

 

L’horloge comtoise, elle, est portée par son fronton
et par ses pieds, le cadran tourné vers le ciel.
Beaucoup de femmes regardent son passage et
un vrai cortège se forme depuis le seuil de la maison
jusqu’au camion qui attend la fin du chargement.
Les visages sont graves et les vieilles dames ont pris
leur voix de messe devant le cercueil au pendule arrêté

 

…. Cette petite cérémonie poétique comme signe de l’enterrement du temps passé…

Dès que l’on remonte deux générations, on entre dans la mythologie. Les ancêtres sont dotés de qualités imaginaires, ils sont en passe de devenir des héros, voire des divinités. Rambour nous fait rêver à une petite enfance idéalisée d’être disparue : en ce temps-là, « les échanges de parole » étaient « plus souples, liés, on sentait mieux la douceur / de l’air, on pouvait dire des mots plus aimables. » ; au temps de Guy Mollet, il suffisait de trois beautés pour faire une version des trois Grâces (bien qu’elles tiennent « un sac empli de guerres, d’accouchements et de deuil ») ; on voit défiler des millions d’enfants assis « sur la célèbre Mullca / aux tubulures d’acier, soit la chaise la plus laide / jamais conçue, d’où partaient l’ennui, l’angoisse / l’impatience, parfois l’enthousiasme. Parfois la jouissance. »

Autant de vignettes épinglées sur les pages…

Jean-Louis Rambour, 33 poèmes en forme de nouvelles (ou l’inverse), Éd. Les Lieux-Dits, coll. Cahiers du Loup bleu, 39 pages, 7 €.

Qui gentiment font le chamboule-tout du genre poétique, comme l’indique le titre de Rambour : s’agit-il de nouvelles, ou de poèmes ? Qu’importe, semble-t-il suggérer. La présentation en lignes non justifiées à droite, les phrases parfois brisées en leur milieu comme autant de renvois, à la manière de Verlaine et de bien d’autres, les textes ne remplissant pas la page, pas plus que ne le ferait un sonnet… l’ensemble présente la signalétique habituelle : « attention, poésie ! », si l’on en croit ses yeux.

Pourtant, cela ressemble plutôt à de la prose découpée…

À la lecture, la charge est évidemment poétique : elle en a la fulgurance, on pourrait dire que l’auteur a connu des flashes, vite (mais savamment) déposés sur la page.

Rambour met ainsi en place une forme poétique plutôt nouvelle pour un temps passé, un temps sépia, de la couleur des photos anciennes…

Du coup on accepte chez lui ce qui pourrait être perçu comme un passéisme, on goûte ses souvenirs trop idéalisés pour être vrais. Et puis, une gentille régression, le temps d’un rêve, c’est tellement bon lorsque les images proposées sont nimbées d’une telle tendresse et d’une telle douceur (qui n’excluent pourtant pas les sauvageries d’antan). 

Si le passé vient hanter le présent, c’est qu’aujourd’hui est un temps déserté, maintenant qu’Hulluch, « la cité minière / construite sur les tranchées allemandes » s’est assoupie, que sainte Barbe n’a plus de mineurs à protéger.

« Vous n’aviez pas et saviez aimer. Même parler aux anges. » Voilà, pour Jean-Louis Rambour, ce qui serait perdu.

 

Présentation de l’auteur

Jean-Louis Rambour

Jean-Louis Rambour est né en 1952 à Amiens. Il habite désormais dans le Santerre, à l’est du département de la Somme.

Poésie

Mur, La Grisière, 1971

Récits, Saint-Germain-des-Prés, 1976

Petite Biographie d’Edouard G., CAP 80, 1982

Le Poème dû à Van Eyck, L’Arbre, 1984

Sébastien, poème pour Mishima, Les Cahiers du Confluent, 1985

Le Poème en temps réel, CAP 80, 1986

Composition avec fond bleu, Encres Vives, 1987

Françoise, blottie, Interventions à Haute Voix, 1990

Lapidaire, Corps Puce, 1992

Le Bois de l’assassin, Polder, 1994

Le Guetteur de silence, Rétro-Viseur, 1995

Théo, Corps Puce, 1996

L’ensemblier de mes prisons, L’Arbre à Paroles, 1996

Le Jeune Homme salamandre, L’Arbre, 1999

Autour du Guet, L’Arbre à paroles, 2000

Scènes de la grande parade, Le Dé bleu, 2001

Pour la Fête de la dédicace, Le Coudrier, 2002

La nuit revenante, la nuit, Les Vanneaux, 2005

L’Hécatombe des ormes, Jacques Brémond, 2005

Ce Monde qui était deux (avec Pierre Garnier), Les Vanneaux, 2007

Le seizième Arcane, Corps Puce, 2008

Clore le Monde (avec un dessin de Benjamin Rondia), L’Arbre à Paroles, 2009

Partage des eaux, La Métairie Bruyère, Presses des éditions R. et L. Dutrou, 2009

Cinq matins sous les arbres, in Art africain, Ed. Vivement dimanche, 2009

Anges nus, Le Cadran ligné, 2010

Moi in the sky, Presses de Semur, 2011

La Dérive des continents, Musée Boucher-de-Perthes, 2011

Démentis, Livre d’artiste conçu avec Maria Desmée, Collection Les Révélés, 2011

La Vie crue (avec vingt encres de Pierre Tréfois), Corps Puce 2012

Nouvelles

Héritages (sous le pseudonyme de Frédéric Manon), CAP 80, 1982

Abandon de siècle, G & g, 2003

Tantum ergo, Aschendorff Verlag, 2013

Romans

Les douze Parfums de Julia (sous le pseudonyme de Frédéric Manon), La Vague verte, 2000

Dans la Chemise d’Aragon, La Vague verte, 2002

Carrefour de l’Europe, La Vague verte, 2004

Et avec ceci, Abel Bécanes, 2007

Poèmes choisis

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