Jean-Luc Despax, Mozart s’est échappé

Tout serait-il dans le titre ? « De la musique avant toute chose et pour cela préfère l’impair », ce à quoi nous songeons, de prime abord... Et comme Mozart n’y est plus, son escapade ne signalerait-elle pas un certain appel à un renouveau de la poésie, une éviction du  passé, tant pour ce qui est de la forme que pour les thématiques abordées généralement par le poème ? S’il est des horizons d’attente singuliers, en voici un, et la parcimonie des vers qui composent  les poèmes  laisse pressentir le trait de modernité suggérée par le titre.

La « Table des poèmes » ne laisse pas de doutes quant à la teneur inédite de ce que nous propose l’auteur du recueil : « Prière aux grand patrons », « L’Esquisse d’une vérité », « Urgences », « Dans la rue de Mandelstam », « Mozart court encore », « Labyrinthe bruxellois »,  « Les humeurs d’un petit architecte »…Certains titres sont humoristiques, tel « Analyse cartésienne et pour pas un rond », ou caustiques : « Nouveau code du travail pour un seul horizon »…Engagés, aussi, dans une réalité politique , « Planète poutine »…D’autres convoquent des philosophes, Kierkegaard, Heidegger…Ces découpages tutélaires évoquent les voyages de l’auteurs, et le regard porté sur chaque pays traversé…Où est Mozart ? Et bien, il est cité dans un des poèmes du recueil, là où on ne s’attendrait pas à le trouver, tant le titre, drôle, mais strident, annonce la tonalité critique du texte, au diapason de ceux qui composent le recueil :

Jean-Luc Despax, Mozart s’est échappé,  Editions Henry,  124 pages, 10 €

 

Carte de crédible

 

Au bout de trois tentatives de suicide
La carte de groupe sanguin est avalée

Les  prochaines notices nécrologiques
Seront faites à Taiwan.

La rumeur de la ville
Se moque des réseaux

Et ce n’est pas le tout d’être « écouté »
Il faut être entendu

Non tant changer de vie
Mais façon de la vivre

Toujours l’heure du leurre
Et bien temps de se détromper

Assigné à résilience
Mozart s’est échappé

 

Et nous sommes édifiés, car si l’auteur évoque Mozart, c’est bien parce que dans cette modernité brossée au vitriol par le poète Mozart, et de fait ce qu’il représente, ne peut que fuir !

Ne s’arrêter qu’à la teneur humoristique de pléthore de poèmes serait omettre de  rendre compte du ton sarcastique de la plupart d’entre eux qui, non sans une certaine légèreté, tracent les contours de sociétés différentes et restituent une vision planétaire des aberrations économiques et politiques qui malheureusement perdurent. Le regard critique du poète décode sur le ton le plus léger qui soit une modernité dont il énonce toutes les dérives, car il ne manque pas de soulever les problématiques actuelles les plus importantes

Engagement politique et constat des échecs de la mise en pratique de plusieurs théories humanistes, certains des textes de l’auteur ne sont pas sans rappeler qu’il a lui aussi nourri des espoirs, déçus…

 

Poètes vivants de l’étagère

Pas un livre de Marx pour sauver le rayon

C’est Ovide au complet mais aussi Xénophon
Le Marx de mon lycée je le laisse aux lingères

Oh sans mépris aucun. Dante, je le digère
Il m’aide à passer les saisons, les congères
Les poètes vivants peuplent mes étagères
Cela ne suffit pas cher petit commissaire ?

 

On ne sait si Mozart n’y est pas, mais, quoi qu’il en soit, la musicalité et l’humour étoilé de la poésie de Jean-Luc Despax ne seraient pas, sûrement, sans interpeler le compositeur. Et puis, la gravité, soudain, dans un décor d’une banalité déconcertante, inouïe et éclatante comme un coup de canon dans une forêt tranquille, surgit pour nous rappeler que l’horreur n’est pas loin….sous un ciel qui « demeure entier » !

 

Le Ciel demeure entier

Mort des éphémùérides et baisars de velours
Les canons sont changés aux serrures des portes
C’est égal maintenant
Le train m’attend à quai comme coursier trop sage

Je possède l’arrogance des papillons
Je fais du NOSTOS une arme de conquête
LK’éclairage public innocente mes vers

Dans les gares,
Ils nous regardent comme des bestiaux
N’auront paq min désespoir lorsque je descendrai

Heureux d’être vivant

L’espace continue de mutiler le Temps

 

Rien à ajouter, car oui, l’espace continue de mutiler le temps.